II.
Les Émotions et la Raison ne sont pas toujours
de natures distinctes
Mais
on peut aller plus loin encore. Reprenons ce même exemple. Ne
croyez-vous pas que la cause rationnelle et la cause émotive sont en
réalité les mêmes, mais considérées sous deux points de vue
différents ? Dans les deux cas, Virginia Woolf partage un
morceau de vie quotidienne qui fait comprendre une chose nouvelle au
lecteur – et en passant, c’est là selon moi un des grands
trésors de la littérature – et vouloir publier ce passage
particulièrement pour être comprise
est un acte ambivalent, puisqu’on peut être compris sur un plan
rationnel, en suivant des liens logiques et causaux, et émotif, en
revivant la situation et en se disant qu’elle n’est pas si
étrangère que cela à la nôtre. Et encore une fois, revivre la
situation ou avoir la compréhension globale des mécanismes de
celle-ci, c’est la même chose : simplement, le mode émotif
est intuitif et rapide, et le mode rationnel est méthodique, plus
lent, mais permet souvent de moins faire d’erreurs et de comprendre
davantage.
Dans certains cas, pour l’être humain, on ne peut pas distinguer
la Raison des Émotions. J’en ai montré un exemple ci-dessus (et
dans ce cas, la différence était seulement le point de vue et le
mode de compréhension, ce qui est bien peu), mais voici un autre
argument. Lorsque nous autres humains faisons un choix, il se passe
des choses dans notre cerveau. Considérant comme je l’ai vaguement
établi plus tôt (et comme, en fait, il va de soi) que l’être
humain est à la fois un être rationnel et un être émotif, on se
rend compte de la chose suivante : le choix est motivé par des
raisons logiques, rigoureuses, calculées, et en même temps par des
raisons affectives (citons Pascal : « Le cœur a ses
raisons que la raison ne connaît point. »). En fait, l’affect
et l’argument rationnel peuvent peser des poids similaires dans nos
choix, et il est parfois difficile de distinguer un argument émotif
d’un argument rationnel, comme j’ai pu en donner l’exemple plus
haut.
Et
donc, lorsqu’on apprécie une œuvre d’art – il doit y avoir
une cause à cela –
c’est pour des raisons qui peuvent être indistinctement émotives
et/ou rationnelles. Ainsi, la raison pour laquelle on appréciera Le
Ciel étoilé de Van Gogh pourra
venir de ce qu’il déclenche en nous (l’impression de mouvement,
de tourbillon qui emporte le regard et le cœur, cette mélancolie
mêlée d’excitation discrète…) ou de ce qu’il y a en lui
d’objectivement beau (la technique, les traces visibles de pinceau
qui permettent d’imaginer le geste du peintre, s’imaginer
produisant une telle toile, simulation qui permet d’augmenter la
puissance d’agir puisqu’elle
fait vivre l’impossible ou prépare à vivre une expérience
artistique…), et pour l’artiste, il y a bien entendu l’expression
des sentiments ou l’impression qu’il veut créer, mais aussi la
dimension technique, la prouesse, l’argent qu’il en retire,
l’apaisement qui en résulte et qui lui est objectivement bon,
etc., et ainsi l’art
est ambivalent et plus riche que la simple sublimation d’une
émotion, que ce soit du point de vue du spectateur (j’entends
par là tous ceux qui apprécient une œuvre)
ou de l’artiste.
Salut, je me permets de commenter sur cet article même si on ne m'a rien demandé (pardon). Alors...
RépondreSupprimerLa première partie m'avait laissé sur ma faim et c'est une sorte de... soulagement (?) de lire ce dépassement. Et puis, au final, tu es arrivé à une définition de l'art au lieu de la prendre comme point de départ, ce que je trouve assez intéressant en soi dans ce genre d'argumentation. Une oeuvre d'art serait donc une production humaine qui est à la fois susceptible de réveiller une émotion chez celui qui l'appréhende (parce qu'elle est née elle même d'une émotion) et esthétique (l'objectivement beau dont tu parles) pour le moins. Ou alors j'ai mal compris quelque chose.
Mais une autre question se pose, comment juger de ce qui est objectivement beau?
Ce que Kant dit sur le sujet me semble assez pertinent surtout dans ce contexte. Aussi, je me permets de mettre cette citation ici : ''Est beau ce qui plait universellement sans concept''.
Si je juge un objet beau c'est que j'éprouve un plaisir esthétique à le regarder et que mon jugement prétend à l'universalité, même s'il est subjectif. Je juge cet objet beau parce que je suppose chez les autres une inclinaison à ressentir ce même plaisir, d'où le ''plait universellement''. Mais le jugement esthétique n'est pas le jugement de connaissance, et ce que je trouve beau n'est pas forcément ce qui est parfait, objectivement et par rapport à un concept ou à la définition de ce que l'objet devrait être. Par exemple, en littérature, sans être en alexandrin ou même en vers, un poème peut être beau. Mais je me tais avant de tomber dans le HS.
Voilà, c'est tout ^^.
Bonjour à toi, et ne t'excuse pas de ton commentaire, il me fait plaisir !
SupprimerJe comprends que la première partie semble incomplète, et en fait elle l'est puisque après la seconde il en reste encore six...
En ce qui concerne le fait d'arriver à une définition de l'art plutôt que d'en partir... Le cours de philosophie de l'art que j'ai suivi cette année m'a suffisamment montré qu'il était fort complexe d'en déterminer une tout de go, et même après mûre réflexion. En fait, je ne dirais pas que j'ai défini l'art, je me contenterais plutôt de dire que j'en ai affirmé deux caractéristiques qui me semblent indispensables à son existence. Mais tu as bien compris ce que j'ai dit ^^
Ah, "comment juger ?" et ce cher Kant ! (J'ai quelque part "Le jugement esthétique, il faudrait que je m'y plonge...) Avant de te répondre, je tiens à te dire que la question de la détermination du beau ne me semble pas hors sujet ici ^^
Alors. J'ai beaucoup de respect pour la théorie kantienne et je la trouve assez juste aussi. Cependant. Qu'est-ce qu'un "plaisir esthétique" ? Peut-on dire que le beau "plaît universellement" s'il n'y a dans le beau qu'une prétention à l'universalité ? Quant à la partie "sans concept", j'aurais tendance à être d'accord avec elle, puisqu'il me semble impossible de déterminer des critères conceptuels universels pour le jugement esthétique, mais j'ai tout de même à y redire. En effet, d'une part ce n'est pas parce que nous sommes incapable de trouver ce concept universel qu'il n'existe pas, et de l'autre, il me semble que le jugement de connaissance a tout de même une part non négligeable dans le jugement esthétique. Je veux dire, ce n'est pas parce que le jugement de connaissance est insuffisant à décrire le jugement esthétique qu'il n'en fait pas partie. Au contraire, le jugement de connaissance peut entrer en compte dans l'appréciation de l’œuvre, dans la mesure où la connaissance de certains aspects de celle-ci (par exemple, l'utilisation d'une certaine technique, un certain sens donné à un certain élément, ou, dans un exemple plus précis, la description que fait Virginia Woolf de la folie) déclenche en nous une certaine satisfaction. Mais je rechigne un peu à nommer ces éléments "perfection objective" en tant qu'ils me semblent plutôt subjectifs ou au moins sociaux (cf l'alexandrin ou les vers).
En fait, je me rends compte que ce que j'ai dit ici, c'est déjà ce que Kant a dit, avec les concepts de beauté libre (pas de finalité, nature) et de beauté adhérente (finalité, œuvre d'art) : il y a dans la seconde à la fois une satisfaction esthétique et intellectuelle.
Je crois que je me suis perdu mois aussi ^^'