jeudi 13 août 2015

Art et émotions (1) - De l'ambivalence humaine


Préambule :

Je fonderai ici mon discours sur l’art en prenant l’exemple particulier de la littérature, et donc du processus d’écriture, car celui-ci m’est le plus familier. Il me semble qu’une généralisation est tout à fait possible, mais je ne suis pas capable de la valider par des données sensibles, dont j’ai en revanche une myriade en ce qui concerne la littérature.

Introduction :

On a l’habitude de cette image romantique de l’artiste qui, sans un processus qui s’accompagne de souffrance, crée des œuvres qui viennent de sa souffrance. Il suffit de se rappeler ce qu’on raconte de Flaubert, qui aurait travaillé des heures durant sur une même portion de texte, en examinant chaque virgule, ou de se remémorer ce qu’on dit de Balzac, qui se serait attaché à sa chaise, devant son bureau d’écriture, avec de nombreuses tasses de café, pour produire et donc survivre financièrement. On peut également, pour illustrer le second point, penser au recueil de Baudelaire, Les Fleurs du Mal, qui, pour sa part, provient très probablement d’un mal-être conséquent. L’art semble donc bien avoir un lien particulier avec la souffrance.
D’une manière générale, l’art n’est-il pas principalement l’expression d’une émotion sous une forme agréable, une forme, pourraient dire les freudiens, acceptable par la société : l’art apparaît comme la sublimation d’une émotion.
Je ne vais pas aller par quatre chemins. Cette théorie me semble largement incomplète, et ce pour plusieurs raisons.

I. L’être humain n’est pas un être uniquement émotif

Un long et stérile combat se livre dans la pensée humaine quant à savoir si l’homme est rationnel – ce que considèrent les modèles en économie – ou pas. Par « non-rationnel », on entend alors : émotif. Ce que considèrent certaines théories psychologiques – au moins lorsqu’elles sont vues de loin. (D’ailleurs, de manière bien manichéenne, dans ce système de pensée, celui qui est rationnel n’est pas émotif, mais j’y reviendrai plus tard.)
Cependant, l’être humain, avouons-le, est à la fois l’un et l’autre – son cerveau suit et développe des processus logiques, mais un grand nombre de ses choix prennent en compte une dimension affective, souvent illogique, donc considérée comme fondamentalement irrationnelle. Donc, s’il est l’un et l’autre, il semble hautement improbable qu’un fait social tel que l’art, demandant des techniques, régi par des algorithmes et des règles implicites ou non, et ayant subi de nombreuses mutations au cours de l’histoire, soit seulement la sublimation des émotions de l’artiste. J’ai pour l’instant dit : « hautement improbable ».
Pour parfaire la preuve, exhibons simplement un exemple qui démontre que l’art peut également être le produit d’une réflexion rationnelle. Dans le roman Mrs Dalloway, le personnage de Septimus est atteint d’une forme de folie. On peut considérer sa présence dans le livre de plusieurs manières : ou bien Virginia Woolf se trouvait dans une situation relativement similaire en un certain nombre de points et voulait être comprise (c’est la « cause émotive »), ou bien l’auteure voulait, en montrant les pensées profondes de Septimus, faire comprendre au lecteur comment fonctionne un cerveau fou, souligner la limite ténue entre folie et santé d’esprit, et l’inviter à remettre en question ses préjugés sur la folie et sa propre perception de lui-même : nous sommes tous un peu fous à notre manière, et ceux que l’on dit fous le sont pour d’excellentes raisons et ont un point de vue que nous pouvons trouver très pertinent (c’est la « cause rationnelle »). Maintenant, il suffit de se rendre compte que les deux causes – il y en a sûrement d’autres, je suis volontairement schématique – sont des causes suffisantes pour justifier la publication du livre pour démontrer qu’une œuvre d’art ne peut se résumer à la simple sublimation d’une émotion.

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