Préambule :
Je
fonderai ici mon discours sur l’art en prenant l’exemple
particulier de la littérature, et donc du processus d’écriture,
car celui-ci m’est le plus familier. Il me semble qu’une
généralisation est tout à fait possible, mais je ne suis pas
capable de la valider par des données sensibles, dont j’ai en
revanche une myriade en ce qui concerne la littérature.
Introduction :
On
a l’habitude de cette image romantique de l’artiste qui, sans un
processus qui s’accompagne
de souffrance, crée des œuvres qui viennent
de sa souffrance. Il suffit de se rappeler ce qu’on raconte de
Flaubert, qui aurait travaillé des heures durant sur une même
portion de texte, en examinant chaque virgule, ou de se remémorer ce
qu’on dit de Balzac, qui se serait attaché à sa chaise, devant
son bureau d’écriture, avec de nombreuses tasses de café, pour
produire et donc
survivre financièrement. On peut également, pour illustrer le
second point, penser au recueil de Baudelaire, Les Fleurs
du Mal, qui, pour sa part,
provient très probablement d’un mal-être conséquent.
L’art semble donc bien avoir
un lien particulier avec la souffrance.
D’une
manière générale, l’art n’est-il pas principalement
l’expression d’une émotion sous une forme agréable, une forme,
pourraient dire les freudiens, acceptable par la société :
l’art apparaît comme la sublimation
d’une émotion.
Je ne vais pas aller par quatre chemins. Cette théorie me semble
largement incomplète, et ce pour plusieurs raisons.
I. L’être humain n’est pas un être uniquement émotif
Un long et stérile combat se livre dans la pensée humaine quant à
savoir si l’homme est rationnel – ce que considèrent les modèles
en économie – ou pas. Par « non-rationnel », on entend
alors : émotif. Ce que considèrent certaines théories
psychologiques – au moins lorsqu’elles sont vues de loin.
(D’ailleurs, de manière bien manichéenne, dans ce système de
pensée, celui qui est rationnel n’est pas émotif, mais j’y
reviendrai plus tard.)
Cependant,
l’être humain, avouons-le, est à la fois l’un et l’autre –
son cerveau suit et développe des processus logiques, mais un grand
nombre de ses choix prennent en compte une dimension affective,
souvent illogique, donc
considérée comme fondamentalement
irrationnelle. Donc, s’il est l’un et l’autre, il semble
hautement improbable qu’un fait social
tel que l’art, demandant des techniques, régi par des algorithmes
et des règles implicites ou non, et ayant subi de nombreuses
mutations au cours de l’histoire, soit seulement
la sublimation des émotions de l’artiste. J’ai pour l’instant
dit : « hautement improbable ».
Pour
parfaire la preuve, exhibons simplement un exemple qui démontre que
l’art peut également être le produit d’une réflexion
rationnelle. Dans le roman Mrs Dalloway,
le personnage de Septimus est atteint d’une forme de folie. On peut
considérer sa présence dans le livre de plusieurs manières :
ou bien Virginia Woolf se trouvait dans une situation relativement
similaire en un certain nombre de points et voulait être comprise
(c’est la « cause émotive »), ou bien l’auteure
voulait, en montrant les pensées profondes de Septimus, faire
comprendre au lecteur comment fonctionne un cerveau fou, souligner la
limite ténue entre folie et santé d’esprit, et l’inviter à
remettre en question ses préjugés sur la folie et sa propre
perception de lui-même : nous sommes tous un peu fous à notre
manière, et ceux que l’on dit fous le sont pour d’excellentes
raisons et ont un point de vue que nous pouvons trouver très
pertinent (c’est la « cause rationnelle »). Maintenant,
il suffit de se rendre compte que les deux causes – il y en a
sûrement d’autres, je suis volontairement schématique – sont
des causes suffisantes
pour justifier la publication du livre pour démontrer qu’une œuvre
d’art ne peut se résumer à la simple
sublimation d’une émotion.
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