lundi 17 août 2015

Art et émotions (3) - Folies retouchées


III. Le poids des émotions et de la raison

J’aimerais aller plus loin encore, en me demandant pourquoi – et pour moi ce sera forcément d’un point de vue évolutif – les arguments respectivement rationnels et émotifs jouent un rôle dans nos prises de décision.

a. Les arguments rationnels.
Jacques Monod a expliqué dans Le Hasard et la Nécessité que des « facultés » telles que l’imagination, la logique, etc., étaient des avantages évolutifs pour l’être humain. Il prend l’exemple d’un combat avec une panthère : l’humain qui est capable de planifier son combat (via l’imagination) et de prévoir correctement son déroulement et les réactions de l’animal, ainsi que les changements impliqués par l’introduction de variables telles que le mauvais temps, une arme, une peau de bête comme armure, etc., celui-là survivra globalement moins bien que celui qui fonce tête baisser et se fait manger dans neuf cas sur dix (statistique inventée). Cette modélisation explique pourquoi la prévision, les modèles, le raisonnement, et toutes sortes de procédés imagés et logiques occupent une place dans nos prises de décision.

b. Les arguments émotifs.
La preuve dans ce cas est encore plus facile à mener : la peur est un excellent exemple d’affect qui donne un avantage évolutif certain à celui qui la ressent : fuite instinctive, augmentation du rythme cardiaque pour faciliter la course, sueur abondante pour rafraîchir le corps qui subit une intense mise à l’épreuve sont autant de caractéristiques qui favorisent la survie de celui qui les présente.
Il me semble cependant important de donner d’autres exemples plus proches de nos et dans un autre « groupe » d’affects : l’amour, l’affection envers un autre être humain. Ces sentiments ont une grande importance dans nos choix parce qu’ils permettent la préservation de la famille, un noyau dur, une protection contre l’extérieur. La mise en commun de plusieurs vies augmente significativement la puissance d’agir de chacun des membres du groupe – division des tâches, protection, alternance des tours de gardes. On peut voir une cause – parmi de nombreuses autres – complètement mécanique et orientée vers la survie, à l’existence et l’importance de l’affection et de l’amour. Cela peut bien sûr être quelque peu déprimant, mais je crois qu’il y a quelque chose de rassurant à connaître une part des causes qui nous poussent à agir.

Et c’est l’occasion pour moi d’opérer une transition qui va me ramener à notre sujet de départ : l’artiste et ses émotions. Les raisons pour lesquelles les arguments rationnels et émotifs ont un poids dans nos décisions sont probablement avant tout les avantages évolutifs qu’ils conféraient à nos ancêtres. Savoir cela dégage un point très important : ce sont des avantages évolutifs passés, donc nous pouvons nous en libérer s’ils ne sont pas effectivement et actuellement des avantages présents, évolutifs ou immédiats (mais toujours bien compris, au sens de Spinoza, c’est-à-dire que cet avantage doit être considéré émotivement et surtout rationnellement, et qu’il doit ressortir de l’analyse que l’avantage en est effectivement un, et pas une illusion d’avantage ou un avantage avec lourdes et indésirables répercussions, par exemple).
Donc. Les artistes et les auteurs sont parfois des humains particulièrement intelligents, sensibles, fous, conscients, généreux, tourmentés : ils ont chacun leurs raisons de se libérer ou non de la spontanéité, de ce qui leur vient immédiatement, pour retravailler et transformer leurs émotions et leurs conclusions. Cela fait de l’art un champ très large et très hétéroclite, où se mêlent sublimations d’émotions spontanées et laborieux travaux de mise en lumière de phénomènes qui aident le lecteur.

« La poésie est une folie retouchée. » – Gaston Bachelard

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