III.
Le poids des émotions et de la raison
J’aimerais
aller plus loin encore, en me demandant pourquoi
– et pour moi ce sera forcément d’un point de vue évolutif –
les arguments respectivement rationnels et émotifs jouent un rôle
dans nos prises de décision.
a.
Les arguments rationnels.
Jacques
Monod a expliqué dans Le Hasard et la Nécessité
que des « facultés » telles que l’imagination, la
logique, etc., étaient
des avantages évolutifs pour l’être humain. Il prend l’exemple
d’un combat avec une panthère : l’humain qui est capable de
planifier son combat (via l’imagination) et de prévoir
correctement son déroulement et les réactions de l’animal, ainsi
que les changements impliqués par l’introduction de variables
telles que le mauvais temps, une arme, une peau de bête comme
armure, etc., celui-là
survivra globalement moins bien que celui qui fonce tête baisser et
se fait manger dans neuf cas sur dix (statistique inventée). Cette
modélisation explique pourquoi la prévision, les modèles, le
raisonnement, et toutes sortes de procédés imagés et logiques
occupent une place dans nos prises de décision.
b.
Les arguments émotifs.
La preuve dans ce cas est encore plus facile à mener : la peur
est un excellent exemple d’affect qui donne un avantage évolutif
certain à celui qui la ressent : fuite instinctive,
augmentation du rythme cardiaque pour faciliter la course, sueur
abondante pour rafraîchir le corps qui subit une intense mise à
l’épreuve sont autant de caractéristiques qui favorisent la
survie de celui qui les présente.
Il me semble cependant important de donner d’autres exemples plus
proches de nos et dans un autre « groupe » d’affects :
l’amour, l’affection envers un autre être humain. Ces sentiments
ont une grande importance dans nos choix parce qu’ils permettent la
préservation de la famille, un noyau dur, une protection contre
l’extérieur. La mise en commun de plusieurs vies augmente
significativement la puissance d’agir de chacun des membres du
groupe – division des tâches, protection, alternance des tours de
gardes. On peut voir une cause – parmi de nombreuses autres –
complètement mécanique et orientée vers la survie, à l’existence
et l’importance de l’affection et de l’amour. Cela peut bien
sûr être quelque peu déprimant, mais je crois qu’il y a quelque
chose de rassurant à connaître une part des causes qui nous
poussent à agir.
Et
c’est l’occasion pour moi d’opérer une transition qui va me
ramener à notre sujet de départ : l’artiste et ses émotions.
Les raisons pour lesquelles les arguments rationnels et émotifs ont
un poids dans nos décisions sont probablement avant tout les
avantages évolutifs qu’ils conféraient à nos ancêtres. Savoir
cela dégage un point très important : ce sont des avantages
évolutifs passés,
donc
nous pouvons nous en libérer s’ils ne sont pas effectivement
et actuellement
des avantages présents,
évolutifs
ou immédiats
(mais toujours bien compris, au sens de Spinoza, c’est-à-dire que
cet avantage doit être considéré émotivement et surtout
rationnellement, et qu’il doit ressortir de l’analyse que
l’avantage en est effectivement un, et pas une illusion d’avantage
ou un avantage avec lourdes et indésirables répercussions, par
exemple).
Donc. Les artistes et les auteurs sont parfois des humains
particulièrement intelligents, sensibles, fous, conscients,
généreux, tourmentés : ils ont chacun leurs raisons de se
libérer ou non de la spontanéité, de ce qui leur vient
immédiatement, pour retravailler et transformer leurs émotions et
leurs conclusions. Cela fait de l’art un champ très large et très
hétéroclite, où se mêlent sublimations d’émotions spontanées
et laborieux travaux de mise en lumière de phénomènes qui aident
le lecteur.
« La
poésie est une folie retouchée. »
– Gaston Bachelard
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