samedi 9 janvier 2016

Internet

Voilà le médium auquel nous consacrons une conséquente partie de notre vie. Aussi, il est légitime que nous nous posions des questions sur sa nature, que des peurs à son propos naissent en nous. Mais internet, qu'est-ce vraiment ?
(Cet article m'a été inspiré par un documentaire d'Arte creative, qui, initialement, m'avait enthousiasmé, mais m'a très vite déçu, voire par moments irrité. Cela se sentira probablement par endroits.
Par ailleurs, je dis souvent "Certains pensent que", sans citer réellement ma source ou déterminer quel groupe a ces idées : je me réfère au documentaire.)

Un affect social

Avec internet renaît la peur du monstre de Frankenstein. Cette création de l'être humain qui s'émancipe finalement, et se retourne contre lui. On a peur d'avoir enclenché le processus de transformation de notre société en une civilisation automatique parce qu'automatisée, qui nous échapperait, qui commence déjà à nous échapper.
Selon moi, cette peur n'est qu'à moitié justifiée : certes nous automatisons, et une grande partie de ce que nous utilisons (je parle des objets technologiques de notre quotidien), nous n'en savons pas le fonctionnement, et nous n'y pensons, pour ainsi dire, pas vraiment. Notons en passant que c'est là un phénomène déjà observé : nous avons généralement peur de ce que nous ne connaissons pas, ne comprenons pas. De plus, nous allons en effet vers une automatisation, et cela peut effectivement mener à des conséquences déplorables.
Cependant, je ne pense pas que le fait "internet" soit si singulièrement nouveau. La "société" en tant que telle nous a toujours échappé, à nous êtres humains. De nos actions, nos communications volontaires ou non, explicites ou non, naissent en définitive ce qu'on peut appeler des "affects sociaux", c'est-à-dire que de l'état d'une ou plusieurs personne naît un état général de la société qui "agit" (disons, exerce son influence) indépendamment des individus qui en sont à l'origine. On peut en prendre un exemple simple dans les effets de mode : une personne se met à porter un type de tenue, la trouve esthétique, la prône, et son avis peut alors être relayé, puis généralisé, et c'est ainsi que, de manière évidemment simplifiée et éventuelle, peut naître une mode.
Il en va de même, je crois, d'internet. La société (dans un certain sens) peut se voir comme l'ensemble des "affects sociaux" tels que décrits ici. Et il est alors intéressant de remarquer que nous n'avons en général qu'une influence limitée sur les affects sociaux, ce qui crée le phénomène que les philosophes nomment péjorativement "l'opinion". Ainsi, la société nous a toujours en quelque sorte "échappé", simplement, internet et l'automation rendent la chose sensible. À présent, on le remarque et on s'en inquiète. Et je ne dis pas que c'est une mauvaise chose pour nous, au contraire, il est sans doute temps que nous prenions conscience de l'influence qu'internet exerce sur nous et que nous apprenions à nous en libérer tout en évitant de perdre les avantages qu'il nous apporte. Il convient donc d'apprendre les rudiments de son fonctionnement, afin d'exorciser les peurs irrationnelles à son sujet, il s'agit de le rendre écologique, également, en harmonie avec notre environnement, il convient de prendre conscience de ce qu'il est et de l'impact qu'a le fait d'en faire usage pour écrire ou lire ces lignes, regarder une vidéo, s'informer, tenter de juger dans quelles conditions c'est chose acceptable, en un mot, apprendre à faire un usage raisonnable et raisonné de la chose. Ce qui, bien entendu, n'implique pas du tout qu'on arrête immédiatement de l'utiliser à des fins ludiques : qu'internet fournisse également des divertissement est, dans une certaine mesure, un fait qui contribue d'une certaine manière à notre bonheur (certaine mesure et certaine manière qu'il convient de déterminer précisément afin de pouvoir circonscrire notre usage).
Aussi, ce dont il faut selon moi prendre conscience, pour éliminer définitivement ces peurs qui naissent sur internet, c'est que celui-ci est un affect social, et qu'aucun affect social n'existe sans humain, donc qu'il n'est pas absolument indépendant et inarrêtable. Nous y contribuons tous, nous sommes à l'origine des affects sociaux, et ceux-ci ne sont pas par nature bons ou mauvais pour nous, ils sont ce que nous en faisons, c'est-à-dire, le résultat de notre traitement inconscient de celui-ci, ou ce que nous désirons réellement, quand nous le considérons consciemment. Nous faisons internet, autant en faire un outil bénéfique.

Le futur d'internet

Personne ne peut vraiment dire ce qu'internet va devenir. Tout ce qu'on sait, c'est que cela dépend de nos actions. Mais en fait, cela ne dépend pas seulement de nos actions, et c'est par la détermination des facteurs qui nous sont extérieurs que nous pouvons pousser la réflexion plus loin. On peut voir l'ensemble de nos idées individuelles et des affects sociaux comme un espace à part (Jacques Monod, dans Le Hasard et la Nécessité, l'appelle le Royaume des Idées, je reprendrai donc cette terminologie), espace dans lequel elles interagissent, changent, mutent, se changement mutuellement et exercent des pressions les unes sur les autres. Il y a également, j'imagine, une "idée de l'environnement" qui contient les informations sur la nature et son fonctionnement, une idée de chaque être vivant, et ces idées, nous n'en avons qu'une connaissance partielle. Pourtant, dans le Royaume des Idées, celles-ci subissent de fortes pressions, certaines y sont plus adaptées et d'autres moins, à un moment donné, alors certaines persistent et d'autres tombent en désuétude, ou n'émergent simplement pas. Ce principe, Monod l'appelle évolution idéelle (et j'avoue y avoir mêlé quelques considérations spinozistes sur l'attribut "Pensée", présenté dans l'Éthique), un principe parallèle à l'évolution des espèces régi par la sélection naturelle de Darwin. Je pense qu'on peut appliquer ceci à internet, et, je l'avoue, pour dire bien peu de choses : internet persistera sous la forme la plus adaptée aux pressions idéelles qui s'exercent sur lui (dont certaines, il faut le préciser, découlent de pressions d'ordre tangible). Ainsi, on peut conjecturer : il faudra un internet écologique, ou bien celui-ci disparaîtra avec les probables cataclysmes qui suivront le dérèglement climatique irréversible qui est en train de se produire ; il faudra un internet libre, multiple, fragmenté, sans quoi ses utilisateurs, furieux d'être brimés et forcés à se conformer à une norme qui ne leur convient pas, chercheront à le changer (ce ne sont là, encore une fois, que des suppositions, mais je les fonde sur des observations de phénomènes qui ont lieu en ce moment, je pense notamment à Youtube et aux questions de droits d'auteur).

Un porteur de fantasmes

En attendant, nous faisons avec un outil en pleine évolution, tout nouveau, nous le découvrons, nous cherchons ses limites, imaginons ses potentialités, et avant que nous ne sachions intuitivement quelles sont ses domaines d'action précis, nous aurons notre lot de croyances à son sujet. C'est pourquoi, comme nombre de nouvelles technologies (citons au hasard l'électro-magnétisme, avec les champs de force et les connexions magnétiques mystiques, et la physique quantique, avec la téléportation), internet suscite des fantasmes. C'est parti pour un peu de science-fiction.

L'intelligence collective
Certains pensent que nous pourrons à travers internet ne former plus qu'une grande intelligence collective, interconnectée et échangeant pensée et sensations, sans perdre notre individualité. C'est probablement une belle idée, voire une idée séduisante, d'un certain point de vue. Pas du mien. On néglige à mon avis toujours la question de la reproduction quand on parle de ces choses-là. On pense qu'on peut allier la machine et l'humain et que ça ne posera pas de problème. Bien sûr. Donc on va brancher les enfants aux électrodes dès leur naissance ? Et encore, cela suppose que nous puissions nous déplacer (donc que le lien soit "sans fil"), que cela provoque des dégâts minimes sur notre corps, et que, surtout, nous puissions vivre parfois aussi dans le monde tangible. Parce que c'est une condition nécessaire à la reproduction.
Au-delà de ça, il me semble que l'idée peut avoir de l'intérêt. Pouvoir partager jusqu'aux sensations serait d'un intérêt certain, mais cela pose de trop nombreuses questions de rendre ce lien permanent. Il serait rendu obligatoire, ceux qui le refuseraient seraient probablement des parias. Mais surtout. On perdrait l'intimité. Ce n'est pas une question d'avoir des choses à cacher. C'est une question de construction psychologique, une question de ce que le langage, c'est choisir ce qui est transmis ou non. Une telle intelligence collective ne serait à mon avis rien d'autre qu'une dictature de la pensée elle-même. D'où la nécessité d'un choix de s'y connecter ou pas, d'un choix de ce qu'on partage ou non. Alors là, oui, sans doute peut-on penser qu'un tel dispositif nous serait profitable. Mais à aucun moment nous ne ferions réellement partie d'une "intelligence collective", nous serions simplement des humains qui communiquent plus "efficacement".
Mais cela comporte aussi son lot de problèmes. En effet, la communication est un phénomène délicat à comprendre, que nous commençons seulement à étudier. Nous pouvons toutefois tenter de lui appliquer le principe de l'évolution idéelle, et conclure que les imperfections du langage, ses dimensions inconscientes, corporelles, instinctives, tout cela contribue à faire muter les idées. Cela nous force à ne pas comprendre totalement l'autre, mais d'un autre côté, l'idée parfaitement unique que nous formons est un nouvel élément de l'espèce des idées, et donc un essai supplémentaire, un élément nouveau qui peut-être perdurera un temps : le langage est un producteur de diversité d'idées. Je ne suis pas certain (mais je demande à voir, peut-être me trompé-je) qu'une communication parfaite enrichisse l'humain plus qu'elle ne l'appauvrit;

L'Ascension
Pourtant, ce rêve, c'est à mon avis un vieux fantasme qui l'anime, celui de l'ascension. Celui de la séparation de l'âme et du corps, l'âme s'envolant vers "un plan d'existence supérieur" ; l'idée, là encore, peut être belle. Mais elle réside toujours à quelque degré, selon moi, dans l'idée que notre corps et notre âme sont séparés, indépendants, et que notre âme est, d'une certaine manière, "d'une qualité supérieure". D'où l'importance selon moi de l'idée spinoziste selon laquelle le corps et l'esprit ne sont qu'une seule et même chose, vue sous un point de vue différent. En fait, on ne sait pas tout ce que peut faire le corps, et peut-être le corps est-il capable de produire tous les phénomènes que nous nommons "esprit" lorsque nous les considérons par l'aspect de la pensée, comme nous le faisons usuellement.
Ici, le rêve de l'intelligence collective formé par tous à travers internet est plus subtil. Il lie non seulement les esprits, mais les corps (on veut "ressentir" comme les autres), mais cependant pas de manière biologique. Il faudra toujours manger, se soigner, être malade individuellement. On aura fusionné dans un seul être ce qu'on pense être l'intelligence, l'esprit, en omettant totalement l'intelligence du corps. Encore une fois, on néglige ces petits détails qui nous rendent vivants. Et on donne l'importance suprême à cette infime partie de nous-mêmes qui occupe toutes nos pensées parce que c'est "nous". Mais "nous", c'est si peu, c'est seulement la partie consciente du corps, et toute la médecine, la biologie, la chimie, la physique, décrivent des phénomènes qui se passent en nous, et que nous avons eu besoin d'expliquer parce que nous n'en sommes pas conscients. Alors pour moi, le seul rêve d'intelligence collective valable passerait également par une fusion biologique, et là, on est sur une toute autre problématique qu'internet. Et l'ascension consisterait alors davantage, je crois, à prendre conscience de son corps et l'accepter, qu'à le rejeter et le faire disparaître.
Par ailleurs, on pense à cet état comme étant un état parfait, ou disons, bien meilleur qu'avant, en négligeant notamment les contraintes techniques d'entretien du réseau (qui se pose bien moins avec un organisme vivant, pour qui l'entretien est instinctif), on y pense presque comme un "point d'évolution ultime" que pourrait atteindre l'homme et, sans mentionner qu'il s'agit là d'une position téléologique (donc non-scientifique) très discutable, on néglige les facteurs futurs qui feront pression sur notre forme à venir. Nous pouvons influencer la manière dont nous allons évoluer, mais seulement dans le sens d'une meilleure adaptation à notre environnement, même si cela implique de contrôler dans une certaine mesure ce dernier. Alors avant de rêver à un tel état d'intelligence collective, examinons s'il est viable d'un point de vue évolutif, et pensons au chemin qui y mène : est-ce réellement une réponse valable aux pressions qui s'exercent sur nous ? Et n'est-ce pas un état trop statique, vulnérable à tout changement brutal de conditions extérieures ? La vie et la multiplicité servent à cela : l'espèce est conservée par les individus qui survivent. Se rendre interdépendants, c'est peut-être devenir un seul individu, terriblement fragile.

Un média foisonnant

La Bête
L'évolution rapide de cette technologie nous effraie et nous donne, comme je l'ai dit, l'impression de perdre le contrôle. Certains en viennent à penser que nous serions comme "asservis" à "une bête" qui recouvre toute la Terre (schématisation de la pensée en question). Encore une fois, cela repose sur l'idée que nous n'avons aucun contrôle dessus. Mais en réalité, il y a la "sagesse des foules", qui nous fait agir de manière intuitivement raisonnée (et c'est très précieux), et il y a un grand nombre de personnes qui prennent déjà conscience de l'influence qu'ils ont concrètement sur ce médium et tentent actuellement de le changer, de le façonner tels qu'ils le souhaiteraient. L'essentiel étant de faire concorder ces souhaits avec ceux d'un usage bon pour chacun et tous d'internet. Pas de bête, alors, simplement l'affect collectif que nous allons peu à peu apprendre à comprendre, et ce d'autant plus facilement qu'il est aussi concret : bien que virtuel, internet est une entité bien définie, délimitée, et ne s'incarne que là où on l'attend. On a de plus des moyens très explicites d'agir sur lui (même de façon minime). D'autres affects sociaux, à l'inverse, sont bien plus inconscients et abstraits, il est donc bien moins aisé de s'en défaire.

La mer d'informations
Internet, et le téléphone, le télégraphe avant lui, conduisent à une interconnexion plus forte : c'est dans le nom, "télé" signifie "loin, à distance", on est donc "au courant" de ce qui se produit même si loin de nous qu'on n'a jamais eu à s'en préoccuper avant. Zweig en parle dans Le Monde d'hier. C'est apparemment au début du XXe siècle (peut-être à la fin du XIXe) qu'on a commencé à sentir les effets de l'information à longue distance. Pour Zweig, il y avait là quelque chose d'étouffant. On nous raconte ce qui se passe si loin de nous qu'on ne peut souvent pas agir pour changer ce qui nous attriste. Cela produit alors un sentiment d'impuissance profond, qui ne se posait pas lorsque nous ignorions tout d'ailleurs. Pourtant, comme le montre l'Histoire d'un bon bramin de Voltaire, nous acceptons bien peu souvent de renoncer à des informations ou des connaissances en vue d'un bonheur plus grand. Alors il faut trouver des solutions pour composer avec ce flux d'informations trop intense, de les gérer pour en tirer ce qui nous apporte un plus grand bien et de retrouver une stabilité émotionnelle en sachant comment réagir aux situation intolérables éloignées.

La schizophrénie contrôlée
Certaines personnes ont alors imaginé que la schizophrénie, disons, la création de plusieurs personnalités mentales, serait un moyen efficace de composer avec les nombreuses informations qui nous parviennent. Accepter de développer fortement nos facettes pour pouvoir faire face à de nombreuses situations. Accepter que "Je est un nous", tout en étant dans une harmonie des personnalités plutôt qu'un conflit (j'ai du mal à avoir une connaissance exacte de ce qu'est la schizophrénie, alors je m'avance, mais l'essentiel est l'idée développée, et non la comparaison avec la schizophrénie). Alors peut-être est-ce là notre évolution, plus probable, face à internet et aux nouvelles pressions qu'il exerce sur nous : des êtres plus complexes qui sautent volontairement de personnalité selon les situations pour pouvoir plus efficacement traiter la complexité de leur monde.

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