mercredi 23 septembre 2015

Le Suicide

Un filet tombe sur les épaules et les tire vers le sol. Des coups d'épée lourde et émoussée engourdissent tous les membres, qui résistent. Mais le corps est mou, il n'a qu'une carapace percée mais incassable, qui l'empêche de se mouvoir et qui laisse s'infiltrer les flèches froides des vents soupirant. Les yeux ne voient plus l'extérieur et le monde se pare d'une brume ondoyante et de la couleur des désespoirs intérieurs ; l'eau n'en coule pas mais en recouvre la surface, ils gonflent ; les yeux sont un imposant barrage face à l'impétuosité de cette douleur qui hurle en-dedans. Non pas qu'elle ait besoin de s'exprimer, mais plutôt de se soustraire aux pressions qui la compriment de toutes parts. Parce qu'elle ne peut rien dire. Il y a tout autour ces étrangers à votre condition propre, ceux qui sont incapables de comprendre le typhon serein qui tout à coup emporte chaque parcelle de votre corps. Il y a l'extérieur qui vous refuse, et soudain vous-mêmes n'avez plus le droit-même d'exister. Les trombes, les courants et les ondes marines alors tournent sans fin dans le creuset clos de votre âme ; plus rien n'est stable, l'instabilité provoque sa propre mouvance, et l'exutoire qu'il faudrait chanter devient un hymne funèbre, un cri perçant qui traverse de part en part à de nombreuses reprises. Il faudrait se recroqueviller. Devenir une sphère et se réchauffer soi-même, minimiser la surface de contact avec l'extérieur. Faire pleuvoir ses misères dans l'océan-même de ses souffrances pour les évaporer bientôt à nouveau. Devenir un orbe indépendant, infiniment petit, infiniment caché, secret, disparu. Mis entre parenthèse jusqu'à ce que la tempête cesse.
O harsh surronding cloud that will not free my soul.
Walt Whitman, When Lilacs Last In The Dooryard Bloom'd. 
Si le suicide se définit comme le moment où les causes extérieures répriment tant notre propre effort pour exister qu'elles le surpassent et le vainquent, alors comment expliquer cette vie qui continue ?
Soit le suicide diffère de cette définition, et de ce que chacun connaît.
Soit il y a en vous un effort plus puissant que tout ce qui existe au monde. Une force incoercible qui maintient en vie.
"The deepest solace lies in understanding."
Le plus profond réconfort réside dans la compréhension.
R. Dawkins.
Avais-tu compris, moi-même, qu'il y avait en toi cet océan de bris de tes incarnation passées ? Chaque matin tu renais et chaque matin tu déposes sous l'immense couverture de dentelle noire un nouveau fragment de toi, parfois brillant, parfois terne, mais ses contours sont toujours tranchants. Savais-tu qu'ils définissaient tous tes facettes ? T'aperçois-tu que la douleur sourde qui se cache sournoisement dans les tréfonds de l'océan de tes émotions est l'héritage de tout ton passé, et qu'en regardant la surface lisse tu en oublies les récifs tranchants ? Tu n'es pas invincible.
"Das Ziel lag in großer ferne
Es war deutlich sichtbar, wenn auch für mich
Kaum zu erreichen."
Le but se tenait dans le lointain,
Il était clairement visible, bien que pour moi
Presque impossible à atteindre.
B. Brecht, Poèmes de Svendborg, À ceux qui naîtront.
T'es-tu rendu compte de la quantité d'eau nécessaire à couvrir les écueils les plus effilés ? Combien as-tu pleuré, combien t'es-tu battu ? Peu à peu, tu érodes les pics sous-marins, tu lisses les couteaux rocheux de ton cœur. Même si tout paraît vain, même si le monde semble te détester, tu avances. Tu es fort.

Lâche prise, lâche prise, lâche prise.
Tu as le droit d'exister parce que tu existes et que ce droit est en toi-même.
Tu n'est pas invincible alors tu as le droit de vouloir plonger dans un lac noir parfois.
Tu as le droit de pleurer. Tu as le droit de t'effondrer. Tu as le droit de ne plus rien faire et de te laisser prendre par les tourbillons noirs. Tu as le droit d'être faible parfois.
Être faible parfois, en fait, c'est la même chose qu'être fort.
Parce que tu es fort. Parce que tu vis. Parce que tout est cassé en toi. Et que tu vis. Parce que tout te fait mal en toi. Et que tu souris et tu aimes. Parce que donner plus que ce que tu donnes te tuerait. Et que tu donnes. Toi, tu es fort, et toi aussi, tu es forte.

Le simple fait que tu penses au suicide indique que tu es en vie, mais indique encore avec plus de force que tu es fort(e). Que tu peux le faire. Que même la somme des forces de tout l'univers ne parviendrait pas à surpasser ton propre effort de vivre.


Savais-tu, aussi, que cette force est d'autant plus secondée que maintenant, tu sais que tu n'es pas seul, que tu n'as pas besoin d'être invincible, que tu ne seras pas foudroyé si tu es fragile, qu'il y a une épaule sur laquelle se reposer et pleurer ; et la personne sur l'épaule de qui tu pleures, elle pleurera aussi, autant que toi, et tu seras une épaule secourable pour elle. Il y a toujours une épaule.

"The leaden circles dissolved in the air." (Virginia Woolf)
Les cercles de plomb se dissolvaient dans l'air.

Et maintenant vous êtes des amis si profonds.


"The pleasures of heaven are with me and the pains of hell are
With me,
The first I graft and increase upon myself, the latter I
Translate into a new tongue.

[...]

Prodigal, you have given me love — therefore I to you give
Love!
O unspeakable passionate love
."

Les plaisirs célestes sont avec moi, et les douleurs infernales sont
Avec moi,
Les premiers, je les greffe et fais croître sur moi, les derniers, je les
Traduis en une nouvelle langue.
[...]
Prodige, tu m'as donné de l'amour aussi je te donne en retour
De l'amour 
Ô indicible intense amour.

Walt Whitman, Leaves of Grass, "Song of Myself", 21.


Merci, toi.

6 commentaires:

  1. Merci à toi. Merci d'avoir écrit cet article.On ne se connaît pas, mais ce que tu as écrit est pour moi tout ce dont j'avais besoin. Merci, tout simplement.

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    1. De rien. Véritablement, de rien. Je suis infiniment heureux d'avoir pu t'aider avec cet article. =)

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  2. Merci toi.
    ça en dit pas assez mais merci toi.

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    1. De rien toi. ^_^
      Je sais ce que tu ressens puisque je ressens la même chose.
      Merci toi.

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  3. C'est Beau.
    Ça me fait cette sensation de lire ce que je voudrais dire mais en mieux exprimé.
    Tu as progressé... Je veux lire plus de toi !

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    1. C'est sans doute un des plus touchants et des plus beaux commentaires qu'on m'ait jamais fait =) Merci #^_^# (si on omet que je trouvais que ce que j'écrivais c'était pas bien)
      Je te ferai lire plus de moi si tu veux =) (Et me dire que j'ai progressé, ça me fait aussi très plaisir, vraiment, sincèrement, et comme il n'y a plus assez de mots je vais juste arrêter d'écrire ^^")

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