vendredi 21 août 2015

Art et émotions (5) - Darwin


V. Art et évolution idéelle

C’est Jacques Monod qui, dans Le Hasard et la Nécessité (je ne cesserai jamais de citer ce livre, je crois), a proposé le concept d’évolution idéelle. L’idée (c’est le cas de le dire) est la suivante : l’être humain vit dans un monde où il contrôle de plus en plus son environnement dit « naturel », et donc, la sélection naturelle s’opère de moins en moins, grâce à la médecine, aux progrès énergétiques, etc. Mais une grande partie de notre environnement est maintenant faite d’idées, et c’est cela qu’on apprend en Histoire (cf Hegel, La Phénoménologie de l’Esprit) : la succession d’idées et les modifications qui y ont été apportées ; les causes, les idées et leurs effets. Or, celles-ci évoluent bien plus vite que les humains, et a fortiori, que les civilisations, et les uns comme les autres sont profondément dépendantes des idées qui y circulent et qui y règnent. Donc l’être humain, au niveau de la société comme de l’individu, est plutôt soumis à un second processus évolutif, d’évolution dite idéelle, qui remplace largement la sélection naturelle (les gènes ont de moins en moins d’importance puisque nous pouvons guérir de plus en plus) : l’humain évolue donc, en même temps que dans le monde matériel qui exerce sur lui des contraintes d’ordre physique, dans le « Royaume des Idées » (on peut ici faire un parallèle avec les attributs Étendue et Pensée chez Spinoza), qui exerce sur lui une pression évolutive du même ordre que la sélection naturelle. Les idées elles-mêmes sont sélectionnées pour leur pertinence dans l’environnement naturel, on parle alors de sélection idéelle. L’œuvre d’art devient, dans cette optique, le vecteur d’une nouvelle idée, il y a donc, par elle, naissance d’un nouveau caractère idéel, comme naît un nouveau caractère génétique par les lois de la physique quantique. Rien que par son caractère créateur d’idées, l’œuvre d’art revêt donc un intérêt tout particulier, elle justifie son existence parce qu’elle permet la création de l’infini dans les idées comme le hasard permet la création de l’infini dans l’ADN. Et c’est par l’infini puis la sélection qu’émergent les améliorations de l’humanité.
Je pourrais enfin ajouter dans les idées, contrairement aux gènes, on peut discerner un critère qui fait de l’une d’elles un avantage évolutif ; et ce critère est selon moi l’intérêt bien compris. Si une idée lui est conforme, alors le comportement de l’humain qui la suit tendra à augmenter sa puissance d’agir, et l’humain survivra mieux ou transmettra mieux ses idées (puisqu’elles sont efficaces et font mieux vivre). De même pour une civilisation, qui sera plus stable si elle suit son intérêt bien compris, si elle est structurée pour que ses lois (implicites ou explicites), les relations entre ses individus, ses innovations, etc., soient toutes pensées dans le seul et même but de se préserver, s’améliorer (donc se remettre en question), et se diffuser en s’enrichissant et en enrichissant.
L’art apparaît donc comme vital, d’une part parce qu’il agit d’abord comme une « soupe primordiale » où naissent un nombre considérable d’idées, et de l’autre parce que l’art, lorsqu’il n’est pas seulement la sublimation d’une émotion, peut être guidé pour une vie et une société meilleures.

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