V.
Art
et évolution idéelle
C’est
Jacques Monod qui, dans Le Hasard et la Nécessité
(je ne cesserai jamais de citer ce livre, je crois), a proposé le
concept d’évolution idéelle. L’idée (c’est le cas de le
dire) est la suivante : l’être humain vit dans un monde où
il contrôle de plus en plus son environnement dit « naturel »,
et donc, la sélection naturelle s’opère de moins en moins, grâce
à la médecine, aux progrès énergétiques, etc.
Mais une grande partie de notre environnement est maintenant faite
d’idées, et c’est cela
qu’on apprend en Histoire (cf Hegel, La Phénoménologie
de l’Esprit) : la
succession d’idées et les modifications qui y ont été
apportées ; les causes, les idées et leurs effets. Or,
celles-ci évoluent bien plus vite que les humains, et a
fortiori, que les civilisations,
et les uns comme les autres sont profondément dépendantes des idées
qui y circulent et qui y règnent. Donc l’être humain, au niveau
de la société comme de l’individu, est plutôt soumis à un
second processus évolutif, d’évolution dite idéelle,
qui remplace largement la sélection naturelle (les gènes ont de
moins en moins d’importance puisque nous pouvons guérir de plus en
plus) : l’humain évolue donc, en même temps que dans le
monde matériel qui exerce
sur lui des contraintes d’ordre physique,
dans le « Royaume des Idées » (on peut ici faire un
parallèle avec les attributs Étendue et Pensée chez Spinoza), qui
exerce sur lui une pression évolutive du même ordre que la
sélection naturelle. Les
idées elles-mêmes sont sélectionnées pour leur pertinence dans
l’environnement naturel, on parle alors de sélection idéelle.
L’œuvre
d’art devient, dans cette optique, le vecteur d’une nouvelle
idée, il y a donc, par elle, naissance d’un nouveau caractère
idéel,
comme naît un nouveau
caractère génétique par les lois de la physique quantique. Rien
que par son caractère créateur d’idées, l’œuvre d’art revêt
donc un intérêt tout particulier, elle justifie son existence parce
qu’elle permet la création de l’infini dans les idées comme le
hasard permet la création de l’infini dans l’ADN. Et c’est par
l’infini puis la sélection qu’émergent les améliorations de
l’humanité.
Je
pourrais enfin ajouter dans les idées, contrairement aux gènes, on
peut discerner un critère qui fait de l’une d’elles un avantage
évolutif ; et ce critère est selon moi l’intérêt bien
compris. Si une idée lui est
conforme, alors le comportement de l’humain qui la suit tendra à
augmenter sa puissance d’agir, et l’humain survivra mieux ou
transmettra mieux ses idées (puisqu’elles sont efficaces et font
mieux vivre). De même pour une civilisation, qui sera plus stable si
elle suit son intérêt bien compris, si elle est structurée pour
que ses lois (implicites ou explicites), les relations entre ses
individus, ses innovations, etc.,
soient toutes pensées dans le seul et même but de
se préserver, s’améliorer (donc se remettre en question), et se
diffuser en s’enrichissant et en enrichissant.
L’art
apparaît donc comme vital, d’une part parce qu’il agit d’abord
comme une « soupe primordiale » où naissent un nombre
considérable d’idées, et de l’autre parce que l’art,
lorsqu’il n’est pas seulement la sublimation d’une émotion,
peut être guidé pour une vie et une société meilleures.
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