IV.
Quelques raisons
d’être de
l’art
Continuons
sur cette fertile lancée – car la contestation de la thèse
présentée initialement n’est pour moi qu’un prétexte pour
présenter à la fois des points de vue sur l’être humain qui me
semblent nouveaux, et dévoiler et démystifier le processus de
création artistique, ce que je ferai plus amplement dans la partie
suivante.
J’ai
récemment eu accès à cette
vidéo. Comme celle-ci est en anglais, et que j’aime reformuler
les choses et ajouter mon point de vue, je vais partir des cinq
sous-titres et développer un peu. Bien
entendu, les fonctions de l’art ici évoquées sont
non-exhaustives, et j’évoquerai d’autres pistes un peu plus
tard ; ici je me contente d’explorer les voies ouvertes par la
vidéo.
1.
L’art nous donne espoir
Parfois,
l’art montre des idéalisations, des paysages merveilleux, des
situations confortables, et d’autres sortes de représentations qui
recréent un environnement parfait et serein. Ce
n’est pas qu’il tente de se voiler la face, d’oublier les
problèmes du monde, c’est qu’il offre à qui le désire, à qui
n’a plus l’énergie de surmonter ses obstacles, du bien-être sur
demande, qui redonne de la force. Nous sommes des êtres en très
grande partie émotifs : les affects, comme les appelle Spinoza,
joue un très grand rôles dans nos choix – il va même plus loin
en affirmant que ceux-ci nous déterminent,
c’est-à-dire qu’ils sont la cause efficiente de nos action, et
que le choix est une illusion de libre arbitre. Mais passons :
comme nous sommes des êtres sensibles, donc, l’apport d’un peu
d’émotion positive suffit à redonner de la force.
Et, tenez, je sors momentanément de la sphère de l’art, mais :
dans mon cas très particulier (moi qui pourtant me voudrais un
champion de la rationalité – mais c’est parce que j’ai un
penchant irrationnel pour le rationnel), je déprime quand il pleut
ou même quand il fait gris ou trop sombre, je n’ai envie de rien
faire sinon de me morfondre en faisant des activités qui mobilisent
tout mon cerveau, toute mon attention, en un mot : je fuis tout
et je n’affronte rien, je me réfugie dans un confortable cocon. À
l’inverse, quand il fait beau, je m’emplis de projets, de joie de
vivre et d’action : il faut que j’écrive mon roman, des
articles de blog, que je travaille les mathématiques ou la physique,
etc. (Et, bizarre ou non, loin de moi l’envie de sortir.)
Ce qui démontre qu’un peu de beau, de doux, d’agréable, de
chaud, de lumineux, d’idyllique, peut avoir sur nous une influence
telle qu’elle rend notre vie meilleure et nous donne de la force.
2.
L’art nous fait nous sentir moins seuls
En
nous confrontant à l’expérience des auteurs, nous comprenons que
notre cas n’est pas isolé, qu’au moins un autre – et
vraisemblablement beaucoup d’autres – vit la même chose que
nous, et donc, nous sommes réintégrés dans la société dont nos
préjugés, nos peurs et nos fausses imaginations nous avaient, pour
notre malheur ! éloignés.
C’est
cela qui me fait dire que l’art a une fonction sociale très
profonde. Il permet également de simuler un grand nombre de
situations, d’imaginer comment nous agirions ou devrions agir, de
développer notre sens des discussions, de comprendre comment les
autres fonctionnent, de découvrir des conventions sociales ou leur
domaine d’application, et bien d’autres choses encore, parmi
lesquelles la brisure totale des faits sociaux communément admis. Le
romantisme du XIXe siècle est (très schématiquement) une réaction
aux mariages arrangés qui étaient alors la règle. Ainsi :
« Créer, c’est vivre deux fois. »,
disait Albert Camus, deux, et non une infinité, car il y a la vraie
vie, pleine de richesses, de trésors, d’amitiés, de détails, de
toutes ces choses qui font la vie, et la vie rêvée, comme une
immense tapisserie éthérée et inachevée, dont les bouts cherchent
à concorder, un puzzle géant dont les pièces se trouvent dans
l’art et qui donne une peinture de la vie qui permet certes d’aller
bien au-delà d’elle, mais qui est moins profonde, moins complexe,
moins détaillée, moins existante
(cf La Nausée, de
Sartre).
3.
L’art nous rééquilibre
J’en ai déjà dit beaucoup juste au-dessus, en parlant de sa
fonction sociale, mais l’art est un outil qui peut nous apporter
tant qu’il complète les êtres inachevés que nous sommes, qui
nous aide à nous améliorer toujours, à augmenter toujours notre
puissance d’agir, à reconsidérer nos défauts et nos qualités et
à devenir des humains plus complets, grâce à d’autres humains
incomplets. Selon moi, la plus grande beauté et magnificence de
l’art est qu’il consiste en un gigantesque partage généreux de
puissance d’agir.
4.
L’art nous aide à apprécier les choses
La culture dans laquelle les humains vivent met toujours en valeur
un certain nombre de choses : le courage, la piété, l’honneur,
l’amour, la beauté, la réserve, la pureté, l’innocence, la
chasteté, la sécurité, l’intelligence, la gloire, la force, la
célébrité… L’art, lui, focalise notre attention sur ce qui,
justement, est oublié ou réprimé par la culture de l’époque,
sur des détails qui aident à la vie, sur des situations
quotidiennes qui nous font évoluer, etc. Il propose finalement
d’autres options et forme notre esprit selon des schémas bien plus
variés, et l’appréciation massive d’art permet de se « forger »
réellement un goût que la société, globalement, ne peut forger
sans art, puisque c’est principalement (il me semble) pour sa
propre conservation qu’elle met certaines valeurs en exergue. L’art
est donc un moyen de devenir critique et d’insérer de la diversité
dans la monotonie de la vie ; et de ne pas considérer la vie
comme monotone mais comme un tremplin immanent vers la beauté,
l’amour, la réflexion, l’harmonie, etc.
5.
L’art est de la propagande pour ce qui compte vraiment
Ici, comme pour les autres titres, je traduis comme je peux le
sous-titre en anglais donné par la vidéo. Mais. Je n’aime pas
beaucoup le terme de propagande à cause de sa connotation…
Passons.
L’art
permet de faire passer un message, et de le diffuser très largement,
et au détour des lignes, au coin d’un tableau, entre deux accords
ou deux replis de statue, on discerne quelque chose de frappant, de
beau, ce qui peut se confondre, et c’est là un des messages de
l’artiste : regardez les tournesols ! susurre Van Gogh.
Ce qui compte vraiment, selon les artistes, cela va de faire
attention aux petits détails ou d’apprécier la vie qui s’écoule
entre nos doigts lentement, comme du sable, de s’améliorer
constamment, à la recherche de la perfection, la vérité, la
beauté, le bonheur, et bien d’autres choses encore…
J’ai pour vous un exemple qui synthétise les cinq points :
la phrase « Et in Arcadia ego », très
littéralement « et moi, en Arcadie », et plus joliment,
prenant en compte le sens que je vais expliquer juste après « Me
voilà, même en Arcadie » (traduction hardie). En fait, ce
mystérieux bout de vers est tiré de Virgile et il faut imaginer que
c’est la Mort qui parle, au milieu de l’Arcadie, qui est comme
notre Éden (vaguement, bien entendu). Une représentation idyllique
(cf 1.) qui permet à la fois d’équilibrer (cf 3.) et d’aider à
apprécier les choses (cf 4.), elle remet la peur de la mort en
perspective comme un problème universel (cf 2.) et montre ce qui
compte vraiment (cf 5.) : la vie. Pour la petite histoire, on considère que les tableaux de Bonnard peuvent être compris comme faisant écho à cette même phrase, Et in Arcadia ego ; et peut-être peut-on interpréter la présence de tons plus sombres et à connotation cadavérique, comme du mauve, au milieu de couleurs éclatantes, du jaune, de l'orange, comme l'ombre de la mort présente même en Arcadie.
Il est temps de conclure : les buts de l’art sont multiples
et certains impliquent des émotions : donner espoir, drainer la
solitude des spectateurs, faire rechercher et trouver un équilibre,
forger les goûts, mettre en valeur l’important…
Et d’autres impliquent des éléments rationnels : aider les
gens à trouver la force de mieux vivre à travers l’espoir, les
socialiser, accompagner leur construction mentale, leur donner de la
diversité et des idées, focaliser leur attention sur ce qui leur
permettra de vivre au mieux…
Je crois finalement qu’il n’y a que rarement, en art, une
différence entre des motivations émotives et rationnelles, comme le
corroborent ces quelques exemples.
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