mercredi 19 août 2015

Art et émotions (4) - À quoi bon des œuvres d'art ?


IV. Quelques raisons d’être de l’art

Continuons sur cette fertile lancée – car la contestation de la thèse présentée initialement n’est pour moi qu’un prétexte pour présenter à la fois des points de vue sur l’être humain qui me semblent nouveaux, et dévoiler et démystifier le processus de création artistique, ce que je ferai plus amplement dans la partie suivante.
J’ai récemment eu accès à cette vidéo. Comme celle-ci est en anglais, et que j’aime reformuler les choses et ajouter mon point de vue, je vais partir des cinq sous-titres et développer un peu. Bien entendu, les fonctions de l’art ici évoquées sont non-exhaustives, et j’évoquerai d’autres pistes un peu plus tard ; ici je me contente d’explorer les voies ouvertes par la vidéo.

1. L’art nous donne espoir
Parfois, l’art montre des idéalisations, des paysages merveilleux, des situations confortables, et d’autres sortes de représentations qui recréent un environnement parfait et serein. Ce n’est pas qu’il tente de se voiler la face, d’oublier les problèmes du monde, c’est qu’il offre à qui le désire, à qui n’a plus l’énergie de surmonter ses obstacles, du bien-être sur demande, qui redonne de la force. Nous sommes des êtres en très grande partie émotifs : les affects, comme les appelle Spinoza, joue un très grand rôles dans nos choix – il va même plus loin en affirmant que ceux-ci nous déterminent, c’est-à-dire qu’ils sont la cause efficiente de nos action, et que le choix est une illusion de libre arbitre. Mais passons : comme nous sommes des êtres sensibles, donc, l’apport d’un peu d’émotion positive suffit à redonner de la force.
Et, tenez, je sors momentanément de la sphère de l’art, mais : dans mon cas très particulier (moi qui pourtant me voudrais un champion de la rationalité – mais c’est parce que j’ai un penchant irrationnel pour le rationnel), je déprime quand il pleut ou même quand il fait gris ou trop sombre, je n’ai envie de rien faire sinon de me morfondre en faisant des activités qui mobilisent tout mon cerveau, toute mon attention, en un mot : je fuis tout et je n’affronte rien, je me réfugie dans un confortable cocon. À l’inverse, quand il fait beau, je m’emplis de projets, de joie de vivre et d’action : il faut que j’écrive mon roman, des articles de blog, que je travaille les mathématiques ou la physique, etc. (Et, bizarre ou non, loin de moi l’envie de sortir.)
Ce qui démontre qu’un peu de beau, de doux, d’agréable, de chaud, de lumineux, d’idyllique, peut avoir sur nous une influence telle qu’elle rend notre vie meilleure et nous donne de la force.

2. L’art nous fait nous sentir moins seuls
En nous confrontant à l’expérience des auteurs, nous comprenons que notre cas n’est pas isolé, qu’au moins un autre – et vraisemblablement beaucoup d’autres – vit la même chose que nous, et donc, nous sommes réintégrés dans la société dont nos préjugés, nos peurs et nos fausses imaginations nous avaient, pour notre malheur ! éloignés.
C’est cela qui me fait dire que l’art a une fonction sociale très profonde. Il permet également de simuler un grand nombre de situations, d’imaginer comment nous agirions ou devrions agir, de développer notre sens des discussions, de comprendre comment les autres fonctionnent, de découvrir des conventions sociales ou leur domaine d’application, et bien d’autres choses encore, parmi lesquelles la brisure totale des faits sociaux communément admis. Le romantisme du XIXe siècle est (très schématiquement) une réaction aux mariages arrangés qui étaient alors la règle. Ainsi : « Créer, c’est vivre deux fois. », disait Albert Camus, deux, et non une infinité, car il y a la vraie vie, pleine de richesses, de trésors, d’amitiés, de détails, de toutes ces choses qui font la vie, et la vie rêvée, comme une immense tapisserie éthérée et inachevée, dont les bouts cherchent à concorder, un puzzle géant dont les pièces se trouvent dans l’art et qui donne une peinture de la vie qui permet certes d’aller bien au-delà d’elle, mais qui est moins profonde, moins complexe, moins détaillée, moins existante (cf La Nausée, de Sartre).

3. L’art nous rééquilibre
J’en ai déjà dit beaucoup juste au-dessus, en parlant de sa fonction sociale, mais l’art est un outil qui peut nous apporter tant qu’il complète les êtres inachevés que nous sommes, qui nous aide à nous améliorer toujours, à augmenter toujours notre puissance d’agir, à reconsidérer nos défauts et nos qualités et à devenir des humains plus complets, grâce à d’autres humains incomplets. Selon moi, la plus grande beauté et magnificence de l’art est qu’il consiste en un gigantesque partage généreux de puissance d’agir.

4. L’art nous aide à apprécier les choses
La culture dans laquelle les humains vivent met toujours en valeur un certain nombre de choses : le courage, la piété, l’honneur, l’amour, la beauté, la réserve, la pureté, l’innocence, la chasteté, la sécurité, l’intelligence, la gloire, la force, la célébrité… L’art, lui, focalise notre attention sur ce qui, justement, est oublié ou réprimé par la culture de l’époque, sur des détails qui aident à la vie, sur des situations quotidiennes qui nous font évoluer, etc. Il propose finalement d’autres options et forme notre esprit selon des schémas bien plus variés, et l’appréciation massive d’art permet de se « forger » réellement un goût que la société, globalement, ne peut forger sans art, puisque c’est principalement (il me semble) pour sa propre conservation qu’elle met certaines valeurs en exergue. L’art est donc un moyen de devenir critique et d’insérer de la diversité dans la monotonie de la vie ; et de ne pas considérer la vie comme monotone mais comme un tremplin immanent vers la beauté, l’amour, la réflexion, l’harmonie, etc.

5. L’art est de la propagande pour ce qui compte vraiment
Ici, comme pour les autres titres, je traduis comme je peux le sous-titre en anglais donné par la vidéo. Mais. Je n’aime pas beaucoup le terme de propagande à cause de sa connotation… Passons.
L’art permet de faire passer un message, et de le diffuser très largement, et au détour des lignes, au coin d’un tableau, entre deux accords ou deux replis de statue, on discerne quelque chose de frappant, de beau, ce qui peut se confondre, et c’est là un des messages de l’artiste : regardez les tournesols ! susurre Van Gogh. Ce qui compte vraiment, selon les artistes, cela va de faire attention aux petits détails ou d’apprécier la vie qui s’écoule entre nos doigts lentement, comme du sable, de s’améliorer constamment, à la recherche de la perfection, la vérité, la beauté, le bonheur, et bien d’autres choses encore…

J’ai pour vous un exemple qui synthétise les cinq points : la phrase « Et in Arcadia ego », très littéralement « et moi, en Arcadie », et plus joliment, prenant en compte le sens que je vais expliquer juste après « Me voilà, même en Arcadie » (traduction hardie). En fait, ce mystérieux bout de vers est tiré de Virgile et il faut imaginer que c’est la Mort qui parle, au milieu de l’Arcadie, qui est comme notre Éden (vaguement, bien entendu). Une représentation idyllique (cf 1.) qui permet à la fois d’équilibrer (cf 3.) et d’aider à apprécier les choses (cf 4.), elle remet la peur de la mort en perspective comme un problème universel (cf 2.) et montre ce qui compte vraiment (cf 5.) : la vie. Pour la petite histoire, on considère que les tableaux de Bonnard peuvent être compris comme faisant écho à cette même phrase, Et in Arcadia ego ; et peut-être peut-on interpréter la présence de tons plus sombres et à connotation cadavérique, comme du mauve, au milieu de couleurs éclatantes, du jaune, de l'orange, comme l'ombre de la mort présente même en Arcadie.

Il est temps de conclure : les buts de l’art sont multiples et certains impliquent des émotions : donner espoir, drainer la solitude des spectateurs, faire rechercher et trouver un équilibre, forger les goûts, mettre en valeur l’important…
Et d’autres impliquent des éléments rationnels : aider les gens à trouver la force de mieux vivre à travers l’espoir, les socialiser, accompagner leur construction mentale, leur donner de la diversité et des idées, focaliser leur attention sur ce qui leur permettra de vivre au mieux…
Je crois finalement qu’il n’y a que rarement, en art, une différence entre des motivations émotives et rationnelles, comme le corroborent ces quelques exemples.

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