dimanche 14 juin 2015

"Je n’ai pour lui parler consulté que mon cœur"


Si ton esprit au mien s’ouvre et veut se lier,
Si à tes yeux je suis autre qu’un étranger,
Si ta promesse est dite aux cieux assourdis,
Je te veux bien livrer le secret qui m’emplit.
Ah, cruel ! Ton mystère et ton jeu m’ont trompé :
Je voyais, intrigué, ton cœur se dévoiler.
Aurais-je cru alors à ta douce innocence ?
Ta comédie sincère a trompé tous mes sens,
Et c’est confus d’espoir que je me suis perdu
Dans tes déguisements. Et que n’ai-je perçu
Sinon la vile erreur qui suintait de mon cœur ?
J’ai bu ma propre ardeur, et j’ai, pour mon malheur,
Imaginé trop fort la passion qui t’anime.
Alors que ma passion à cette idée s’arrime,
Le torrent de ta nuit me fera renoncer :
Je sais tes sentiments, je les ai observés.
Si en ce jour fatal, sur les plis de mon âme,
Je me laisse glisser vers la terrible lame
Que tu tends face à moi, que j’ai forgée moi-même,
C’est que, soudain lucide et libéré, je sème
Les graines de nos liens que tu feras pousser.
Je renonce à l’amour qui me fait soupirer,
Et pour toi au néant j’ose m’abandonner ;
Le ciel noir, déchiré, mais la terre remplie
De ponts sur les ravins : voilà qui me suffit.

(Titre : citation de Racine, Andromaque, II, I, Hermione)

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