mardi 23 décembre 2014

Imagination

Imaginer, c'est notre plus blessant écueil, nous dit Spinoza dans l'Éthique. Mais il dit également que c'est là notre plus fabuleux outil.

Comment la vie fait-elle pour réaliser le miracle d'exister encore après tant de temps ? Quels mécanismes conduisent des êtres à se conserver aussi efficacement ? C'est probablement par les faits d'amour et de haine que nous survivons tous : ce qui nous empêche de survivre, ou diminue notre tendance à la vie, provoque en nous une réaction de défense qui s'appelle la haine, et qui fait tendre tout notre être à rendre absente la chose haïe. De même, ce qui nous permet de mieux vivre, on l'aime et on le désire présent.

Et ces Désirs que sont l'Amour et la Haine sont si forts que notre capacité d'imagination se retrouve vite impliquée dans ces processus affectifs. Comme nous tendons à rendre des choses absentes et d'autre présente, et que l'imagination, en tant que représentation, peut nous peindre les choses absentes ou présentes, nous le faisons. Mais nous finissons par être affectés de tristesse lorsque, invariablement, nous nous heurtons au monde et à l'irrévocable présence ou absence, source de douleurs. C'est pourquoi il est dans notre intérêt de ne pas abuser de l'imagination.

Pour autant, on le sait bien, l'imagination a aussi d'incroyables qualités, il suffit pour s'en rendre compte de contempler quelques secondes ce que sont les mathématiques, la physique, les sciences en général et la médecine en particulier, pour comprendre à quel point l'imagination peut être un outil fort bien utilisé. Mais je cherche ici à réhabiliter cette dimension de notre esprit dans un tout autre registre, qui est celui des affects, que je viens d'introduire.

En effet, si Spinoza nous met bien en garde contre un monde qui ne dépend pas de nous et qui nous condamne à la Tristesse lorsque l'imagination est erronée, ne peut-on pas concevoir une certaine utilité à celle-ci ? Il suffit pourtant de fermer les yeux et de laisser les images affluer, de les contrôler, de décider de leur présence, de présider à leurs liens, et un idéal se construit alors. Un havre de paix mental source de Joie, puisque les Désirs semblent comblés.

Seulement, un tel trésor ne saurait être utilisé sans plusieurs précautions préalables, dont j'énoncerai la principale : Si l'on oublie totalement le monde réel, le retour à la conscience de celui-ci sera forcément accompagné de Tristesse. On peut imaginer des choses, s'efforcer que rien ne nie leur présence (ce que fait habituellement le monde et qui peut nous rendre malheureux), on peut s'efforcer même de nier ce qui nie leur présence, mais alors il faut - c'est une nécessité en vue du bonheur - garder conscience d'une négation cachée qui rend à l'imaginaire ce qui lui est propre, une négation occulte qui entoure le rêve d'une fine couche infranchissable. Une fois le réel de nouveaux présent à nos sens, la bulle n'éclate ainsi pas, elle se fond simplement peu à peu avec l'environnement.
De plus, un idéal reste inatteignable mais cela nous rend heureux que de chercher à le matérialiser, il faut rester conscient à tout instant de ce qui es réellement bon et réellement mauvais.

En fait, le bonheur est toujours atteignable et de multiples manières. La seule condition pour réussir à être heureux, ou à être efficace dans quelque domaine que ce soit, c'est de s'entraîner, de commencer à réfléchir d'une manière et de continuer jusqu'à ce qu'on y arrive facilement. Ainsi, la théorie spinoziste est difficile à appliquer, mais à force d'y penser je finis par l'intérioriser, à gagner un plus grand contrôle sur mes émotions (par exemple, tuer celles qui m'importunent), et à ne plus conserver que le bon ressenti. C'est simplement, alors, une question d'entraînement.

1 commentaire:

  1. J'aime beaucoup cet article, et je comprends ce que tu as voulu dire ^^
    :)

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