dimanche 16 novembre 2014

Changer la vie ?

Wittgenstein dit : "Bedeutung ist der Gebrauch" : "La signification est l'usage". Pour lui, la véritable signification des mots, c'est celle qu'on utilise dans le sens courant. Or, en philosophie, en sciences (au sens large : sciences expérimentales, économiques, juridiques, sociales, littéraires), on utilise souvent les mots dans un sens qui n'est pas quotidien. Des contempteurs reprochent souvent aux sciences d'utiliser des termes déformés.

Qui a raison, alors ? Faut-il utiliser seulement le langage courant, au risque de perdre l'exactitude des termes scientifiques ? Ou bien vaut-il mieux utiliser des termes précis et clairs, bien qu'ils empêchent parfois à certains de comprendre le contenu des discours tenus ?


Le problème du langage courant, c'est la polysémie. Un terme veut dire mille choses, chaque acception change avec chaque personne. Peut-être peut-on dire que tous ces termes n'ont un sens que pour la personne qui les a prononcés, car pour n'importe quelle autre, le sens en sera, au moins légèrement, nuancé ; de telle sorte qu'aucun mot ne peut être universel.

Pourtant, si nous nous comprenons et utilisons les mêmes termes, c'est que - on pourrait être tenté de le croire - ceux-ci ont une réalité, une consistance : quelque chose, en soi, d'universel et de commun à tous les humains. Alors seulement, on peut former des concepts fondamentaux, acceptables par tous. Mais y a-t-il vraiment quoi que ce soit de commun à tous ?

Le questionnement systématique mène à penser que tout n'est que détail et que rien n'a rien de commun avec rien (Hume le disait dans Enquête sur l'Entendement humain). Les termes courants seraient donc l'expression de la seule vérité, située dans l'expérience. Or, la vérité est un ensemble de faits, et seulement cela. Mais énoncer cette proposition en ne croyant pas aux concepts est absurde, donc il est nécessaire d'accepter des concepts, et dans cette mesure, accepter un langage plus général, donc plus scientifique. Dans cette mesure, ce sont les concepts qui sont communs à tous les êtres humains, sauf peut-être quelques exceptions, non-négligeables, qu'il serait fort intéressant de consulter, bien que l'on soit peut-être incapable de se comprendre mutuellement. Mais le langage use de concepts, et exclusivement de concepts (me semble-t-il), donc si on se comprend, c'est qu'on use de concepts ; et sans langage, on meurt (c'est un fait), donc tous les êtres humains connaissent et utilisent les concepts.

Mais quelle est la raison d'être du langage scientifique ? Il vient entièrement à la fois de la constatation des différences entre les acceptions des mots et de la nécessité du concept. Les variations du langage mènent parfois à ce qui n'est pas faux en soi, mais relativement au concept généralement admis, ou aux faits précédemment pris en compte - de tels faits, on les nomme en général "axiomes", et ce sont des concepts articulés entre eux. Alors, comme certains concepts deviennent faux et d'autres vrais (ce qui nécessite la loi de non-contradiction : pour dire que l'idée de l'autre n'est pas vraie, il est nécessaire qu'elle ne puisse pas être vraie, et cela découle de la loi de non-contradiction), on redéfinit les termes courants, contenant en eux-mêmes le détail, et on crée un nouveau langage, scientifique celui-là, où la règle de vérité des concepts et des proposition est leur cohérence vis-à-vis des axiomes et de l'expérience.

On trouve finalement qu'il n'est pas vain d'utiliser des termes rigoureux à l'encontre de l'usage quotidien, mais qu'au contraire, sans cela, la vie est simplement impossible (ce qui découle certes d'un concept, mais passons, car l'expérience montrera toujours, dans son individualité, que l'absence de concept, c'est l'absence de langage, donc la mort).

Le problème qui se pose alors est : Comment convaincre que ces termes sont "vrais" ? Comment faire changer d'avis ? Comment faire changer de vie ? Faut-il le faire ? Peut-on construire, à partir des concepts, des certitudes qui nous permettent d'affirmer ce qui est bon pour chaque humain en tant qu'individualité, comment la coopération peut l'épanouir, etc. ?

C'est là, je crois, le projet de Spinoza, dans l'Éthique.

"Changer la vie", disait Rimbaud.

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