dimanche 23 mars 2014

Les Grands Hommes

Il y avait cette citation de Victor Hugo : "Le nom grandit quand l'homme tombe".

J'ai récemment lu un article du Spiegel (journal allemand) sur Camus et Sartre, et leur relation plutôt houleuse. Il faut dire qu'idéologiquement, ils n'étaient pas d'accord (et étrangement je suis du point de vue de Camus, mais ce n'est pas le sujet). Camus a toujours été rejeté par les autres. Puis il a reçu le prix Nobel. Et quand Sartre l'a reçu (plusieurs années après), il l'a décliné, jaloux. Il y a eu aussi des échanges de lettres relativement violents entre les deux, et Sartre est allé jusqu'à remettre en cause la doctrine profonde de Camus, le questionnant faussement sur son "exactitude", et expliquant explicitement qu'elle pourrait être "banale". Des mots violents, en somme. Plus tard, Camus meurt. Et bien plus tard encore, Sartre dira de lui "Camus a été mon seul grand ami".

On l'oublie souvent, parce qu'ils l'oublient souvent, mais un grand homme reste un grand homme. Faillible. Parfois méchant, mesquin, blessé, rancunier, intolérant, haineux... Et ils restent dans nos mémoires de grands hommes. Parce que "le nom grandit quand l'homme tombe". Pourquoi ne retient-on pas leurs mauvais côté ? C'est simple : ils sont morts et ne vivent que par la mémoire. Or, comme l'ont déjà prouvé maints philosophes (cf David Hume), la mémoire est imparfaite. On ne retient que ce qu'on veut retenir : souvent, ce qui nous est agréable. Et comme, en proportions, ces grands hommes ont été plus grands que petits, on s'en souvient comme grands. Pourtant, ils sont bel et bien humains et ont leurs moments de faiblesse. Parfois longs, parfois très marquants. Victor Hugo intolérant la première partie de sa vie, Céline et ses pamphlets antisémites, Stendhal et ses propos misogynes...

Alors voici venir la grande question : faut-il leur pardonner ? Je n'ai pas envie d'y répondre ici, chacun se fera un avis individuellement. Simplement, je tiens à rappeler qu'eux aussi font des erreurs, que parfois dans un poème, il y aura un pied en trop ou une rime artificielle, qu'au cinéma, il y aura, pourquoi pas, un plan d'une minute uniquement pour gagner du temps ou placer un produit... Ce ne sont que des exemples, et c'est certes rare chez de tels génies, mais c'est sans doute inévitable. Alors, je vais peut-être me répéter par rapport à un précédent article, mais comme j'ai récemment eu cette prise de conscience grâce à l'article sus-cité, j'éprouve le besoin de le répéter. Même les grands hommes font des erreurs, ne l'oublions pas. Pourtant...

Voilà ce que Brecht disait de lui au sein d'un groupe (quand il dit "nous"), que l'on peut identifier ou comme les humains de son temps, ou comme les engagés/grands hommes de son temps (et pourquoi pas d'avant, en fait, la citation est très ouverte) :

"Gedenkt unsrer
Mit Nachsicht."
Pensez à nous
Avec indulgence

6 commentaires:

  1. Du coup, j'ai très envie de savoir si tu penses qu'il faut pardonner ou pas.

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  2. J'en sais absolument rien à vrai dire... Ça me taraude tellement. J'ai bien envie de pardonner à Hugo, mais je sais qu'il y a une part d'affectif dans cette tendance. Idem pour Sartre. Tiens, pour le détail concernant Sartre :
    http://www.spiegel.de/international/zeitgeist/camus-and-sartre-friendship-troubled-by-ideological-feud-a-931969.html

    D'un autre côté, il y a Brecht. Il a eu parfois des positions un peu floues, il a soutenu Staline et Lénine, mais d'un autre côté, il est allé en Autriche et s'est fait enlever la nationalité allemande de l'Est (tout en n'allant pas non plus à l'Ouest), bref : il a protesté. Puis il est mort, il fumait sans doute trop, mais bon. En fait, il est resté intègre, malgré quelques écarts. Sartre, Hugo... Ils se sont rattrapés ensuite, mais je ne sais pas si c'est pareil.

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  3. Mais tu dis que les grands hommes sont des hommes...avec les hommes aussi, il y a une part d'affect quand on cherche à pardonner quelque chose.

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    1. Certes... Mais aux yeux de la loi, parfois, ils sont impardonnables ! Alors comment se comporter face à eux ? En juge ou en camarade ?

      La distance nous pousse à juger ; mais nous jugeons et juger c'est mal, même s'ils sont morts. Mais être camarade, c'est excuser ce qui, peut-être, n'est "objectivement" pas acceptable.

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    2. C'est là que tu dois te poser la question : ma conscience est elle plus importante pour moi que la loi, ou non ?
      Je veux dire, ça arrive à tous de faire des erreurs, puis de se rendre compte que c'en sont et de changer de comportement. Et on n'est pas forcément vraiment blâmable parce qu'à l'époque de ces erreurs, on ne pensait pas que ça en était...si un homme s'est remis en question et s'est pardonné pour pouvoir avancer et évoluer, je suppose qu'on peut lui pardonner aussi, non ? (Je suis très adepte de l'indulgence, en fait, et du pardon, etc)
      Ça me rappelle un article que j'ai lu en Une humeur de HC, c'est une fille qui disait qu'elle a été nominée pour être jurée et qu'on leur demandait de juger uniquement par rapport à leur conviction intime...pas forcément par rapport à une pseudo-objectivité qui ne peut être atteinte.

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    3. Ma conscience est pour moi plus importante que la loi. Et en fait, je crois que c'est sur ça qu'est basée la prescription.
      Cet article est très intéressant. Même bien plus que ça.

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