samedi 3 janvier 2015

"Words, words, words."

Hamlet, II, 2, Shakespeare.

Il y a vraiment beaucoup de mots dans notre langue. Dans les langues. Beaucoup de signifiants dans les langages. Mais parfois, comme je l'ai dit dans mon précédent article, on perd foi en eux, en leur capacité à dire le monde.
"There is nothing left to hold onto."
Opeth, Pale Communion, Elysian Woes.
C'est étrange comme certaines paroles surviennent au moment même où on a des pensées similaires. Pas le moindre mot, la moindre expression, le moindre geste qui puisse avoir de l'être, de l'existence, de la substance, du sens. Tout nous semble étranger, et c'est comme si on tombait infiniment dans l'obscur tonneau des Danaïdes, à la fois aveuglé et noyé, sans rien sur quoi agripper les doigts.

Mais. Il y a un espoir. Qui, en réalité, est la raison pour laquelle le langage fonctionne depuis des millénaires.
Imaginez un plan dont chacun des points représente une chose tangible particulière (pas "un arbre", mais cet arbre-là, celui-là, le seul à être lui et nul autre), ou une pensée particulière, ou quoi que ce soit d'absolument particulier. Maintenant, imaginez des petits cercles (ou des patatoïdes, ou des sortes de sacs vraiment irréguliers, ça n'a pas la moindre importance). Ce sont les mots : les mots sont des concepts, ils renvoient à des généralités, donc ils englobent plusieurs particularités. Ces zones délimitées ont des intersections, et des aires communes. Plus on rajoute de mots qui concordent vers une idée, plus cette aire se réduit ; si on en ajoute suffisamment, il n'y a plus qu'une seule particularité qui est contenue. Précisons que, parfois, saisir l'unique particularité voulue n'est pas strictement nécessaire, on peut en saisir quelques autres qui lui sont proches sans que les choses ne changent de manière significative (mais c'est du bricolage). En réalité, c'est cela, la force des mots, et de tous les signifiants : être plusieurs, et dans un contexte qui les organise, les relie entre eux et à l'univers.

Bien sûr, on peut manquer la particularité que l'on souhaitait exprimer ; bien sûr, on peut renvoyer à plusieurs particularités : l'usage des mots est un art (au sens antique, "art", c'est "artisanat", cela désigne quelque chose de pratique) qui nécessite un certain savoir-faire. La particularité devient, en tout cas, exprimable, ce n'est qu'une question de maîtrise technique. Et d'acceptation de l'approximation, du "bricolage" que nous faisons tous continuellement. L'être humain bricole depuis toujours, il ne fait jamais rien d'autre, et vouloir autre chose (comme je le fais), c'est s'illusionner quant à l'existence pratique des canons de perfection, d'irrévocable, etc., que les mathématiques, la logique, et d'autres champs de pensée actuels semblent vouloir nous faire penser comme ayant de l'être, du sens. En fait, y a-t-il vraiment quelque chose d'exact, de pur, de "parfait", d'unique, de particulier quelque part ? Cela même n'est pas certain. Nous ne sommes que le reflet du monde dans lequel nous sommes. Si le monde est quelque part entre le concept et la particularité, le langage, lui, ne peut exprimer que des choses situées entre le concept et la particularité ; et si nous croyons dur comme fer à certains concepts, c'est que nous nous fourvoyons quant à la pertinence-même du concept, tout comme nous pourrions nous fourvoyer à croire que tout est particulier et unique.

Le langage, en réalité, est satisfaisant pour décrire le monde. C'est simplement notre idée du monde qui est à changer. Et quand bien même le monde serait parfait mais inatteignable, du fait de ce qu'est le langage, autant penser le monde à son image s'il est réellement impossible de le penser autrement.

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