mardi 15 juillet 2014

Liberté et Égalité (Retour sur les erreurs de raisonnement)

J'avais annoncé sur Hellocoton que je donnerais un cadeau à qui chercherait les erreurs de raisonnement dans mon article sur la Liberté et l'Égalité. C'est Betta Splendens qui s'est chargée, avec beaucoup de gentillesse, et une indéniable pertinence, de les dénicher. Je vous écris cet article à partir de ses observations. C'est parti, donc, pour un petit interlude de rigueur logique.

Paragraphes 4 et 5 : "Entretenir de bons liens sociaux avec autrui, [...] c'est nécessaire à l'être humain." ainsi que la preuve qui suit.

Ici, effectivement, pas de réelle preuve. En toute rigueur, on ne peut pas donner un exemple pour prouver qu'une proposition. Je vous montre pourquoi :

Soit la proposition : "Tous les nombres impairs sont premiers" (est premier tout nombre divisible uniquement par lui-même et par 1). Si je vous donnais des exemples, je vous dirais : "Regardez : 3 est premier, 5 est premier, 7 est premier, 11 est premier, 13 est premier ! Ils sont tous premiers alors !". Ce qui est absolument faux. Exemple : 9 est divisible par 1, 3 et 9.

Mais vous me direz que j'ai prouvé que la proposition était fausse en donnant un exemple. Parfaitement, et ça, on a le droit. Parce qu'il s'agit d'un contre-exemple. Une proposition qui dit, dans le cas général : "Tous les [objets d'un certain type] sont [d'une certaine manière]" fait une généralisation pour tous les [objets d'un certain type], et elle cesse donc d'être vraie si l'un de ces objets déroge à la règle. Donc le contre-exemple est un moyen efficace de prouver qu'une proposition est fausse, mais pas qu'elle est vraie.

Une chose habile à faire, pour prouver qu'une proposition est vraie, est d'inverser la proposition et de prouver que cet inverse est faux. Dans notre cas, l'inverse de la proposition que l'on veut prouver est : "Entretenir de bons liens sociaux avec autrui n'est pas nécessaire à l'être humain". Il faudrait donc concevoir un être humain qui survivrait, seul, sans contact avec aucun animal, pendant plusieurs années.


Paragraphe 6 : "Aussi, la doctrine épicurienne [...] conduit-elle naturellement à s'occuper d'autrui et à développer les liens que chacun a avec l'autre."

La preuve n'est, ici, pas explicite. Voici un joli syllogisme tout à fait rigoureux pour le montrer :
La doctrine épicurienne appelle ne pas refuser tout ce qui procure du plaisir et qui est naturel.
Or "entretenir de bons liens sociaux avec autrui, cela procure un plaisir, et c'est de source naturelle." (Paragraphe 4).
Donc la doctrine épicurienne appelle à ne pas refuser d'avoir de bons liens sociaux avec autrui.
De plus :
La doctrine épicurienne appelle à faire tout ce qui nous est nécessaire.
Or entretenir des liens avec autrui est nécessaire (Paragraphes 4 et 5).
Donc la doctrine épicurienne appelle à entretenir des liens avec autrui.


Paragraphe 10 : "Or, on voit aussi très bien qu'il est impossible de récupérer la totalité de sa puissance d'agir en le tuant ou le volant, totalité qui n'est accessible qu'à lui et lui seul lorsqu'il est entier, inviolé."

Lorsque quelqu'un, dans une discussion, vous dit "on voit très bien", cela signifie "c'est évident". En gros : "Je n'ai pas de preuve mais je sais que c'est vrai, alors acceptez-le." Il est très important de savoir repérer ce genre de manipulations, qu'elles soient volontaires ou pas (et c'est le but de cet article : je vous montre mes erreurs afin que vous puissiez y être préparés).

Ici, tentons de réhabiliter cette preuve, de montrer pourquoi c'est évident. Par syllogisme :
Lorsque vous tuez quelqu'un, il ne peut plus faire tout ce qu'il pouvait faire.
Or il y a des choses qu'il pouvait faire mais que vous ne pouviez pas (car en effet tout humain est différent de son prochain).
Donc une partie de sa puissance d'agir est perdue.
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En prenant les biens qu'ils possédait, et en supposant que vous puissiez également prendre son travail, dans sa famille, etc., vous récupérez sa puissance d'agir.
Or une partie de sa puissance d'agir est perdue (voir plus haut).
Donc vous ne pouvez pas la récupérer totalement.

Pour le vol, encore par syllogisme :
Lorsque l'on vole quelqu'un, il ne peut plus utiliser l'objet volé comme il l'aurait pu.
Or il aurait pu en faire des choses différentes de vous (car en effet tout humain est différent de son prochain), même si la nuance peut sembler faible, elle existe.
Donc une partie de la puissance d'agir est perdue.
Et ensuite, on reprend le même syllogisme qu'avec le meurtre.


Paragraphe 11 : "Le langage [...] est le moyen le plus efficace d'augmenter sa puissance d'agir."

Cela non plus, je ne l'ai pas prouvé. Nous allons, pour prouver cela, procéder à un autre moyen logique : la disruption de cas. Elle consiste à séparer une situation en différents cas et étudier chacun d'eux, pour en éliminer certains. Je vous montre :

Lorsque l'on est humain et que l'on veut augmenter sa puissance d'agir, on peut :
Soit chercher à l'augmenter seul (potentiel de puissance d'agir : 1 humain).
Soit chercher à l'augmenter par autrui (Autrui comme moyen. C'est une conception que l'on retrouve beaucoup chez les philosophes : pour nous, autrui est d'abord un moyen par lequel on survit mieux.).

Dans le cas où on l'augmente par autrui, deux cas également :
Soit autrui partage sa puissance d'agir volontairement (potentiel de puissance d'agir : 2 humains), ce qui passe alors par le langage.
Soit autrui ne veut pas partager, et on recourt au vol ou au meurtre (potentiel de puissance d'agir : 1 humain plus ce qu'il reste de la puissance d'agir de l'autre, c'est à dire moins de 1 humain.)

On a ici étudié chacun des cas. On constate aisément que le moyen le plus efficace (celui qui donne le plus de puissance d'agir) est le langage, car on peut potentiellement récupérer toute la puissance d'agir d'autrui, lorsqu'il collabore.

Je tiens également à soulever deux points :
1) Qu'autrui partage sa puissance d'agir volontairement ne veut pas dire que ça lui est bénéfique, et qu'il reçoit en retour celle de celui à qui il a confié sa puissance d'agir (créant ainsi une mise en commun des puissances d'agir ; c'est le cas des familles, entreprises, etc.). Il a pu être manipulé, victime de chantage, etc.
2) Le langage ne sert pas uniquement à obtenir une collaboration avec autrui. Il est comme beaucoup d'outils : à usages multiples (exemple : le couteau). Ainsi, il peut être à l'origine de conflits entre personnes. Néanmoins, bien utilisé, il peut aboutir à de belles choses.


Paragraphe 11 : "Dans un groupe de quatre personnes qui s'entraident, il n'y a plus seulement quatre puissances d'agir isolées, mais, en fait, quatre fois l'alliance de quatre puissances d'agir, ce qui est évidemment beaucoup plus."

Petite précision : cela fonctionne uniquement en cas de concorde, de bonne entente entre les quatre parties. Ainsi, si trois d'entre eux sont manipulés par le dernier, il n'y aura que quatre plus trois puissances d'agir. Ce qui est moins. Et ce qui me permet également de montrer que l'entraide est plus efficace que la manipulation, le chantage ou l'asservissement, car chacun dispose de la puissance d'agir de tous (en théorie).


Paragraphe 12 : "Deux personnes qui s'allient donnent la somme de deux doubles puissances d'agir. Donc on a ici : 1+1 = 4. Notez que le simple fait d'enfanter sans créer de lien sociaux particuliers donnerait : 1+1 = 3, et que deux personnes restant simplement de leur côté donneraient : 1+1 = 2. On voit donc aisément que la coopération et les liens sociaux sont le moyen le plus efficace de faire le bon, pour soi comme pour autrui."

Ce passage n'est pas forcément évident à comprendre et semble à première vue contraire à toute logique mathématique. C'est que je fais en fait (volontairement, c'était pour être un peu drôle, mais mon humour est étrange) une confusion entre les personnes et leur quantité de puissance d'agir. J'explique :

Lorsque deux personnes s'entraident mutuellement, chacune dispose de la puissance d'agir de l'autre. Aussi, chacune dispose de deux puissances d'agir. Donc, une personne plus une personne équivaut à deux puissances d'agir plus deux puissances d'agir. D'où l'illusion du "1+1 = 4". Si l'on raisonne en termes de personnes, il y en a toujours 1+1 = 2, et en termes de puissance d'agir, on a : 1 x 2 + 1 x 2 = 4.

Lorsque deux personnes font un enfant, en supposant qu'ils ne communiquent pas entre eux et ne partagent donc pas leurs puissances d'agir, deux personnes créent factuellement trois puissances d'agir. D'où "1+1 = 3", mais c'est également une illusion, car les deux personnes ont aussi créé une troisième personne, donc on a en réalité : "1+1+1 = 3". Tout à fait logique.

Enfin, deux personnes isolées donnent 1+1 = 2, en puissance d'agir comme en nombre de personnes, rien de bien surprenant ici.

Mon but était, ici, de vous montrer en quoi les chiffres peuvent être manipulatoires : on ne sait pas toujours ce qu'ils représentent. Ici, j'ai volontairement créé des absurdités pour dénoncer le phénomène, mais c'est parfois plus subtil.

Dernière chose : Vous noterez qu'en fait, il existe un troisième moyen d'augmenter sa puissance d'agir par autrui. Je ne l'ai pas mentionné plus haut, car il consiste en la création d'une personne, et alors, ce n'est plus par le premier autrui (le conjoint), mais par un second autrui (l'enfant, placé sous notre tutelle) que l'on augmente sa puissance d'agir. On note tout de même que, créer un enfant permettant d'augmenter sa puissance d'agir, cela expliquerait pourquoi on tend à enfanter, si en effet ce que nous tendons à faire est d'augmenter notre puissance d'agir (d'un point de vue strictement physique et biologique, évidemment).


Paragraphe 13 : "C'est donc là que j'arrive à justifier mon titre. L'augmentation de la puissance d'agir, c'est-à-dire, l'aspiration à plus de liberté, se borne naturellement par la liberté d'autrui."

Il est vrai que cette phrase sort de nulle part sans la moindre justification. Mais il était tard, comprenez moi...

Bon, c'est parti pour la justification :
Selon notre conatus (terme de Spinoza, "ce avec quoi l'on naît", littéralement), c'est-à-dire, l'effort à nous préserver dans notre être, nous cherchons à augmenter notre puissance d'agir, car celle-ci nous permet de mieux survivre. Nous cherchons même à l'augmenter le plus possible, parce que nous tendons à nous préserver dans notre être, et que plus nous avons de puissance d'agir, plus nous pouvons nous préserver dans notre être.

Nous cherchons à augmenter notre puissance d'agir le plus possible.
Or le moyen le plus efficace pour cela est d'utiliser le langage pour collaborer de manière réciproque, c'est-à-dire sans la moindre atteinte à la liberté d'autrui (meurtre, vol, manipulation, etc.), et en mettant également à sa disposition notre propre puissance d'agir.
Donc il est bon pour nous, il est dans notre intérêt bien compris (c'est-à-dire, étudié rationnellement, logiquement, en toute connaissance de cause) de collaborer avec autrui de manière réciproque sans l'atteindre dans sa liberté.

La liberté (c'est-à-dire la puissance d'agir), c'est donc la possibilité de tout faire, excepté ce qui diminue la liberté d'autrui, car cela nous est, une fois tout bien réfléchi, nuisible, ou tout au moins, moins bénéfique que de collaborer réciproquement avec autrui en respectant sa liberté.

Enfin, on remarque que la première phrase de l'Article IV de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) est la suivante :
"La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui." Cette phrase étant absolument équivalente au paragraphe juste au-dessus, que j'ai passé ces deux articles à prouver, nous pouvons donc dire que l'article IV de la DDHC uniquement à partir de la raison et de quelques axiomes spinozistes (principalement celui de l'existence du conatus et du fait que nous en sommes pourvus).

5 commentaires:

  1. (tu m'excuseras, mais je vais peut être poster plusieurs commentaires au fur et à mesure de ma pensée)
    Pour le vol, je ne comprend pas ton raisonnement. Tu prouves qu'en volant, on aura une utilisation différente de l'objet volé. Mais la puissance d'agir n'est donc pas perdue, elle est juste modifiée. En effet, si l'objet n'est pas volé et donc au propriétaire, il n'y a pas la puissance d'agir qu'il y aurait pu avoir si une autre personne l'avais volé... donc ça voudrait dire que c'est perdu à la base ? (Je n'y comprend plus rien, je m'auto-perd)

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    1. Le passage sur les puissances d'agir mises en commun, (genre 1+1=4 et "aberrations" du genre), ça me rappelle la mise en commun des électrons par les atomes pour faire des molécules xD

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    2. Pour ce qui est du vol :
      Le fait est qu'on se place du point de vue du voleur. L'utilisation qu'en aurait eu le volé est perdue pour le voleur. Il ne l'a donc pas récupéré.
      Du point de vue du volé maintenant, il est évident qu'il n'en a pas le même usage que le voleur, et effectivement, il n'a pas la puissance d'agir propre au voleur, si on ne lui vole pas l'objet. Mais la différence est que le volé ne cherche pas, lui, à avoir la puissance d'agir du voleur. Donc on ne peut pas dire qu'il l'ait "perdue". Il ne l'a juste pas.

      Pour la mise en commun des électrons : C'est. Complètement. Ça.

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  2. "La liberté (c'est-à-dire la puissance d'agir), c'est donc la possibilité de tout faire, excepté ce qui diminue la liberté d'autrui, car cela nous est, une fois tout bien réfléchi, nuisible, ou tout au moins, moins bénéfique que de collaborer réciproquement avec autrui en respectant sa liberté." -> 1) tu peux me rappeler comment tu as fait le lien entre puissance d'agir et liberté ? 2) Pour la deuxième partie de ta phrase : ce n'est pas toujours vrai, par exemple si celui dont on a besoin refuse de collaborer. x)
    Voilà j'ai fini (et ma concentration a été définitivement rompue par mon frère, donc ma compréhension aussi x_x)

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    1. 1) Ça, c'est Spinoza qui le montre. J'aurai l'occasion de le montrer plus en détail une prochaine fois mais en gros : La liberté, ce n'est pas ne pas avoir de limites. Alors qu'est-ce que c'est ? C'est, dit Spinoza, agir selon la nécessité, c'est à dire la loi, de sa propre nature, essence. Or, dans notre essence, il y a le conatus : cela fait partie de notre essence de tendre à se préserver dans notre être. On agit donc selon la nécessité de sa propre nature quand on suit son conatus. Le conatus amène à augmenter sa puissance d'agir, car on survit mieux ainsi. Donc on agit selon la nécessité de sa propre nature (= on est libre) quand on augmente sa puissance d'agir. Donc la liberté, c'est augmenter sa puissance d'agir, et si l'on veut quantifier la liberté, on la quantifie en termes de puissance d'agir.

      2) Si il refuse de collaborer, cela nous reste nuisible ou moins bénéfique de le voler ou de le tuer ou de porter atteinte à sa liberté, que de prendre le temps de le convaincre à collaborer...
      (méchant frère ^^)

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