mercredi 14 mai 2014

Chers Épicuriens...

« Douceur, lorsque les vents soulèvent la mer immense,
D’observer du rivage le dur effort d’autrui,
Non que le tourment soit jamais un doux plaisir
Mais il nous plaît de voir à quoi nous échappons.
Lors des grands combats de la guerre, il plaît aussi
De regarder sans risque les armées dans les plaines.
Mais rien n’est plus doux que d’habiter les hauts lieux
Fortifiés solidement par le savoir des sages,
Temples de sérénité d’où l’on peut voir les autres
Errer sans trêve en bas, cherchant le chemin de la vie,
Rivalisant de talent, de gloire nobiliaire,
S’efforçant nuit et jour par un labeur intense
D’atteindre à l’opulence, au faîte du pouvoir
. »

— Passage dans la traduction de Mme José Kany-Turpin (éd. Aubier, coll. Bibliothèque philosophique bilingue, Paris) du De Rerum Natura de Lucrèce.

Alors, oui, Douceur !

Ou peut-être pas. Lorsque je vois autrui dans le "dur effort", je ne suis pas pris de soulagement, en fait. Lorsque j'échappe à tout et que je peux contempler le malheur des autres - ce qui arrive assez souvent - non, je ne suis pas heureux.

Alors, mes chers épicuriens, faites donc ! Soyez heureux si vous l'entendez ainsi. Vivez dans la simplicité, la satisfaction des besoins naturels et nécessaires pour soi-même, c'est après tout un choix de vie très louable. Fruit de siècles de réflexions.

Moi, je ne peux pas. Non parce que l'épicurisme a un gros problème, selon moi. C'est qu'il est très bien pour soi-même, et est indifférent aux relations à autrui. Pour moi, l'individu ne se conçoit pas sans société, et c'est pourquoi l'épicurisme me semble incomplet. J'ai besoin de me refléter dans l'autre, de l'aider et l'aimer.

Malheureusement, ça ne me rend pas vraiment heureux, parce que j'ai du mal à aider et aimer tout le monde. Mais je me demande si le plaisir d'aimer, le plaisir d'aimer, n'est pas plus grand encore que celui de s'occuper de soi-même sans prendre cure des autres...

Alors, Heureux les épicuriens ?

4 commentaires:

  1. Certes, les épicuriens sont heureux, c'est indéniable. (je rejoins la pensée qu'une vie heureuse est une vie simple, or l'idéal épicurien est quand même une vie emplie d'un caractère assez épuré. Genre satisfaction des besoins essentiels, tout ça tout ça).
    Mais comme toi, ça me semble impossible d'appliquer ça : l'épicurisme suppose une société où chacun vit pour soi, pour satisfaire ses propres besoins. Donc, d'occulter les autres, parce que l'autre est obstacle à la réalisation du désir (pas toujours, en fait, mais souvent). Et quand bien même on pourrait l'appliquer, ce serait une société d'égoïstes (je caricature, mon prof de philo décrit des cercles dans la salle, faut que je me dépêche).
    Malgré tout, l'épicurisme recèle quand même quelques bons côtés (si on prend l'épicurisme en son sens premier, la recherche de la tranquillité de l'âme par la suppression des plaisirs non nécessaires, et pas dans le sens qu'il a aujourd'hui, à savoir une recherche effrénée du plaisir et de la satisfaction). Il ne mérite donc pas une condamnation totale ^^ (mais un peu quand même)

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    1. Je me demande si la vie doit forcément être simple pour être heureuse. Je veux dire, dans notre vie actuelle, on a quand même beaucoup de complexité, pourtant, on arrive à être heureux. Et on vit plus longtemps grâce à cette même complexité.
      Voilà ! Mais je me demande si on ne pourrait pas appliquer l'épicurisme avec simplement une petite nuance "collectivisante" (néologisme coucou)...
      Oui, je suis d'accord avec toi ^^ (la seconde définition, je nomme ça "hédonisme", en fait. Je crois que c'est le vrai nom d'ailleurs). Mais c'est dommage, parce que je l'aimais bien, en soi...

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    2. (Ton blog devient mon occupation officielle quand je m'ennuie en salle informatique)
      Je ne sais pas. Pour moi la vie actuelle ne rend pas heureux. Mais après...tout dépend des gens.
      Et quelle nuance tu apporterais pour rendre ça plus collectivisant ? x)
      (en fait, la voix de mon prof de philo retentit dans ma tête : "L'épicurisme, au fond, est un hédonisme". Donc je crois que tu as raison. Mais ça doit différer quand même). Mais en fait, je suis certaine qu'il y a de bonnes choses dans cette philosophie, parce que les préceptes me semblaient assez sages (sauf certains. Mais je sais plus avec quels points du tetrapharmakon j'étais en désaccord).

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    3. (ça me fait super plaisir que tu dises ça ^^)
      C'est pas parce que la vie actuelle, qui se trouve être complexe, ne rend pas heureux, que toute vie complexe ne rend pas heureux. Je défends l'idée que l'on peut être heureux même dans un monde complexe (même si j'ai dit au-dessus qu'on pouvait être heureux dans notre monde actuel ; disons plutôt qu'il y a des moments où on arrive à l'être, c'était le sens de ma phrase ; mais globalement, on est plutôt malheureux).
      Euh... La prise en compte de l'intérêt général ? Ou plus simplement, à plus petite échelle, simplement penser qu'aider son prochain est une source de plaisir ^^
      (non mais ça dépend au fond. Parce que certains considèrent que c'en est un. Pas moi. Pas l'épicurisme pur d'Épicure (han l'assonance (en fait, bof)), ni l'épicurisme lucide de Lucrèce. Alors que celui d'Horace, qui applique le "Carpe Diem", si)
      J'ai relu les cours de ma prof de latin. La base physique (atomiste, etc) est tout à fait cohérente et novatrice ; Lucrèce était évolutionniste. Donc ils étaient très lucides et très sages. Mais oui, on peut être en désaccord avec certains points ^^ (tetrapharmakon ? Oo)

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