lundi 14 octobre 2013

Le Travail et l'Art

Voilà de quoi initier la réflexion et entrer en matière, tout en douceur :

"C'est l'avènement de l'automatisation qui, en quelques décennies, probablement videra les usines et libérera l'humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l'asservissement à la nécessité. Là, encore, c'est un aspect fondamental de la condition humaine qui est en jeu, mais la révolte, le désir d'être délivré des peines du labeur, ne sont pas modernes, ils sont aussi vieux que l'histoire. Le fait même d'être affranchi du travail n'est pas nouveau non plus ; il comptait jadis parmi les privilèges les plus solidement établis de la minorité [...]. L'époque moderne s'accompagne de la glorification théorique du travail et elle arrive en fait à transformer la société tout entière en une société de travailleurs. [...] C'est une société de travailleurs que l'on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c'est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d'aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l'homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et parmi les intellectuels, il ne reste que quelques solitaires pour considérer ce qu'ils font comme des œuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous, c'est la perspective d'une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire."
Hanna Arendt, La Condition de l'Homme moderne.


L'homme veut donc se libérer du travail, car c'est une contrainte. Mais voilà, Arendt observe à raison que ce que nous faisons, tous autant que nous sommes, c'est travailler. Parce que telle est la société. Et que si on arrêtait, alors, on risquerait bien de se trouver dépourvus de ce qui fait l'essence de notre société (pas de l'homme, je ne pense pas (et figurez-vous que c'est mon sujet de dissert' : Le travail est-il l'essence de l'homme ?)), et donc, vidés, dépossédés. Alors que nous pourrions faire comme les grecs qui, libérés du travail (grâce aux esclaves, mais passons), s'adonnaient à l'art et à la politique.
Ils n'étaient alors pas considérés comme du travail, bien que cela se discute (Surtout dans le cas de l'art : il subvient souvent à des besoins, d'expression, de communication, etc, c'est une activité de transformation, elle met en scène des outils et a une dimension sociale importante. Soit, de quoi répondre à 4 définitions différentes du travail.), tandis que ceux qui travaillaient n'étaient pas considérés comme humain : les grecs, notamment Aristote, refusaient de considérer comme humains quiconque n'était pas libéré de ses besoins. Mais un esclave pouvait être affranchi, et devenir humain, sur ce point, les grecs étaient beaucoup plus ouverts d'esprit que nous, qui, en les étudiant, sommes surpris d'un tel comportement...

Les grecs, donc, libérés du travail, s'adonnaient à l'art. Et, au fond, voilà ce que je pense être l'essence réelle de l'homme : l'Art. Quand on y réfléchit bien, l'art semble être un besoin chez l'homme. Pour la littérature, par exemple, je dirais que sa raison seconde d'exister, après la satisfaction du besoin d'expression, est également une satisfaction personnelle, et un moyen de socialisation ; et, par synthèse des deux, un moyen d'obtenir une reconnaissance. L'art en général, donc, et tout particulièrement la musique, je dirais même : fondamentalement. Pour étayer cette thèse, je citerai évidemment l'incontournable Nietzsche ("Sans la musique, la vie serait une erreur", Le Crépuscule des Idoles), mais sortirai également de la philosophie pour avancer des arguments historiques. Il se trouve que l'homme a inventé les instruments de musique (en l'occurrence, la harpe) avant les armes (l'arc). Ce qui en dit aussi long sur l'essence-même de l'humanité que sur notre société actuelle, qui se pose la question de savoir ce qui a été créé en premier, plus très sûre de ce qu'est son essence, et baignée dans un contexte géopolitique de conflits et de violence, renforcé par des millénaires de mésentente entre les différents groupuscules humains. Et envers et contre tout cela - les chercheurs en psychologie de la musique l'auront sans doute montré -, la musique sait réconforter, réconcilier, et apporter la Sérénité.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire