mardi 24 septembre 2013

La Nausée

« Jamais, avant ces derniers jours, je n'avais pressenti ce que voulait dire "exister" »
Jean-Paul Sartre

J'ai fini La Nausée hier soir. J'ai adoré. La fin se lit d'une traite, tant les idées, les réflexions, s'enchaînent et s'enchevêtrent, tant les différents "fils" narratifs et philosophiques se rejoignent et se résolvent. Ce livre est magnifique. Et effectivement : « Jamais, avant ces derniers jours, je n'avais pressenti ce que voulait dire "exister" ». Sartre m'a donné une leçon d'existentialisme. Sartre m'a rappelé que tout est unique. Sartre m'a conforté dans mon idée que les étiquettes n'avaient, le plus souvent, pas de sens, que mettre les choses et les gens dans des cases, des tiroirs, n'avait pas de sens ; que tout et tout le monde était absolument unique et irremplaçable.

Vous savez, quand je lis un livre, je suis d'accord avec certaines choses, pas avec d'autres : au final, je considère tout, je trie, puis je garde ce qui me plaît, je jette ce qui ne me plaît pas. J'ai remarqué, d'ailleurs, que ces derniers jours, que mon comportement psychologique pouvait souvent s'apparenter à celui d'une huître. Je m'explique. Dans un premier temps, l'huître, absolument renfermée et à l'abri derrière sa dure coquille, s'ouvre timidement, et aspire l'eau : à son image, je récupère ce qui vient de mon environnement (comportements, tics de langage, idées...) dans sa totalité, et je l'intègre à moi-même ; puis l'huître filtre son eau, elle ne garde que ce dont elle a besoin, et rejette le reste : et comme elle, par la suite, je trie, après plus ou moins longtemps, tous les nouveaux (et parfois, les anciens) constituants de mon être, et je ne garde que ce que je considère être "le meilleur" (notion, entre nous, des plus subjectives). Là où nous différons, c'est que ce que l'huître garde, et entoure de sa nacre argentée, ce sont les impuretés, les grains de sable, ce qui est nocif pour elle : moi, je cristallise ce que je pense être mes qualités. Mais cela prend du temps.

Donc, en lisant ce livre, j'ai éprouvé un immense plaisir, un de ceux qui ne vous prennent pas au cœur ou aux zygomatiques, non : un de ceux qui prend toute votre raison, qui la fait se soulever de bonheur, qui vous fait dire : "je pense, je réfléchis, et quel bonheur : j'appréhende le monde sous un angle nouveau, un angle qui me plaît absolument". C'est là que je situe la principale différence entre ce que j'appellerai les livres "intellectuels" (je sais : ce concept est atrocement et indéniablement élitiste. Mais entendons-nous bien : il y a des livres dont la valeur, intellectuelle ou philosophique, mais surtout littéraire, est indéniable, et dont le but premier est celui de faire réfléchir ; c'est ce que j'entends ici) et les livres disons "divertissants" : les premiers me procurent un plaisir intellectuel, les autres me font m'évader dans un autre monde, un monde faux et agréable. Attention, je ne dis pas qu'un livre divertissant n'a aucune valeur intellectuelle : j'en connais pléiades qui en ont. Mais la différence avec les livres intellectuels, c'est qu'ils ne sont pas faits pour la réflexion. C'est un parallèle, un supplément. Tandis que La Nausée, Électre (de Giraudoux), Grand-Peur et Misère du IIIe Reich sont tout entiers dédiés à démontrer l'idée qu'ils défendent.
Chez Brecht, et dans La Nausée, particulièrement, mais aussi évidemment dans Électre et bien d'autres, les personnages principaux ne sont pas attachants, ils sont remplis de défauts, de contradictions, de telle sorte que, au début, lorsqu'on ne les connaît pas, si on s'attache à eux, c'est pour mieux s'en distancier ensuite. Leurs traits de caractères, leurs pensées, leurs actions, tout cela fait que l'on se dit : ce n'est pas moi, je ne pense pas comme ça, je n'agis pas comme ça : il ne faut pas. Alors, on se positionne critiquement face au livre, on réfléchit, et l'on ne boit pas ses paroles tout entières, on choisit : finalement, on est critique. On a notre propre jugement et notre propre avis. Et je trouve ça infiniment respectueux de leur part : ils ne nous imposent pas leur avis.

D'ailleurs, en parlant de respect, j'en profite pour vous dire que lorsque Sartre affirme que chaque entité, chaque existence est unique, cela me rappelle un grand malaise que je ressens souvent aux informations. "Il y a eu 10 000 morts." Dix mille. Vous vous rendez compte ? Aux infos, on nous enchaîne les chiffre des morts. On en est abreuvé tous les jours. Des chiffres. Vous vous rendez compte ? Tout ces chiffres sont des GENS. Avec des VIES. Chacun son chemin ; chacun ses relations, ses amours ; chacun ses pensées ; chacun son exception ; chacun sa vie ; chacun son étincelle tout au fond des yeux. Chacun sa magie de la vie. Chacun caché derrière un chiffre. S'il vous plaît, ne présentez plus le nombre de morts dans le seconde guerre mondiale dans un tableau. Cessez de faire un pourcentage des pertes humaines, civiles et militaires, par pays. Cessez immédiatement, ou parlez de vies. Rappelez simplement que 10 000 = 1 + 1 + 1 + 1 ... + 1. Et que chaque 1 compte, est différent de l'autre, unique et inestimable, irremplaçable. Ce qu'ils ont en commun, c'est simplement cette musique, cette harmonie particulière que chacun cache en soi, qui se termine sur la même note. Le morceau entier, indescriptible, injouable et infini, reste leur secret, leur identité, et je déteste que l'on puisse cacher à la fois la complexité de l'être humain, mais pas seulement : la beauté de la Vie tout entière, derrière un simple nombre de morts.

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