Le langage, les
mots, ont quelque chose d’étrange. Celui qui les côtoie, les
manipule et les aime ne les trouve pas plus familiers : à
l’écrivain également, les mots apparaissent étranges.
“Words,
English words, are full of echoes, of memories, of associations.”
Virginia Woolf.
En écrivant, j’ai
toujours ressenti que les mots ne m’appartiennent pas. Que ce que
je fais en les écrivant c’est découvrir un ordre qui leur est
propre. Pourtant, il y a une part de moi dans ces mots. Mais elle
n’est pas exprimable de n’importe quelle manière.
De même que
j’assiste à l’éclosion de ma pensée (Nietzsche), je ne
suis qu’une gouttière qui guide le flux des mots. Je les guide de
manière à ce qu’ils me fassent du bien, mais leur arrangement le
plus particulier dépend moins de moi que d’eux. Pourtant je suis
heureux d’être cette inimitable gouttière.
Pourquoi alors ai-je
choisi d’être écrivain ? À vrai dire, je n’ai pas
vraiment choisi. Ça s’est imposé. J’en ai besoin. J’ai
besoin des mots.
J’ai besoin que
leur extériorité reflète mon intériorité. Que leur liberté
fasse écho à mon autonomie. Que les essaims de souvenirs qu’ils
portent en leur sein s’associent aux miens pour qu’ensemble nous
accostions sur ce rivage éternel où leur bourdonnement sécrète
mon apaisement.
Regardez ! Ils
l’ont encore fait. Cette phrase n’est pas la mienne, je me la
suis arrachée à coup d’effort, ils me l’ont arrachée à force
de réflexion. Et pourtant, grâce à cette aura qui suinte autour
des mots, l’association secrète qu’ils ont formée les contente,
et comme s’ils avaient formé un nouveau breuvage par leur ordre,
ils me guérissent. De manière contradictoire, ils deviennent aussi
mes amis et cette phrase est une parcelle de moi, que je porte comme
un trésor.
Il y a ce contraste
dans mon usage des mots. C’est parce qu’ils appartiennent aux
autres qu’ils me font évoluer. C’est parce que leur ordre
singulier me fait cet écho particulier qu’ils me font du bien. Et
pourtant, cet ordre est dicté par une conception de la beauté qui
ne vient pas entièrement de moi. Et pourtant, cet ordre est la mise
au jour de l’eau qui repose au plus profond de moi.
En fait pour moi,
écrire, c’est mêler mon individualité à une forme collective.
Dans une certaine mesure, c’est aussi, par parallèle, mêler
l’éphémère à l’éternel (Baudelaire). Je suis fugace.
L’humanité est pérenne.
Je suis éternel en
moi, l’influence des autres est volatile.
J’ai compris cela
très récemment, en lisant ce texte de Virginia Woolf qui parle des
mots. Les mots s’appartiennent mutuellement. Ils font partie de
contextes, de sensations, de souvenirs, de relations, d’usages,
d’expressions, de phrases, de paragraphes, de livres. Ils forment
un réseau. Initialement, bien sûr, un mot appartient à celui qui
le dit, la phrase également, comme le paragraphe et le livre. Mais
ils sont lus ou entendus, compris, et retransmis. Ils changent. Ils
deviennent indépendants de celui qui les a produits. Et à la fois
si intimement liés à lui.
Ainsi les mots sont
des affects sociaux. Et assez naturellement, tout ce qui est composé
de mots l’est aussi. Sartre constatait que ses pièces, une fois
publiées, ne lui appartenaient immédiatement plus. « L’Enfer,
c’est les autres » a toujours été mal compris, dit-il. Et
pourtant, il reconnaît que ce n’est pas à lui de décider du
sens, le sens se décide tout seul. Car c’est un affect social.
Mais ils sont aussi
des affects personnels. Je crée dans mon esprit un ensemble de
représentations qui font résonner les mots d’une manière unique.
Mes mots ont un seul sens : le mien – mais large, plongé dans
un réseau qui certes vient de la société mais n’existe qu’en
moi et par moi. Les mots m’appartiennent un peu aussi. Je réaffirme
cette appartenance par l’écriture.
De même, il y a
dans l’acte d’écrire tel que je le pratique, une confrontation à
moi-même et à comment la société vit en moi. En écrivant je me
découvre, je me comprends, je m’explore et je m’aime. J’affirme
que je m’aime.
Écrire pour moi c'est lancer dans la société, comme d'un avion, mon manifeste des mots. Écrire pour moi c'est façonner mon manifeste de l'amour de moi.
OUI OUI OUI
RépondreSupprimer(Tu me donnerais les sources des 2 dernières images ? :3)
SupprimerTiens c'est drôle que tu apprécie, Betta vivait l'écriture très différemment (même si j'ai réécrit l'article depuis).
SupprimerEt les deux dernières images, bah comme les autres, je les ai trouvées sur Pinterest en cherchant "Yin Yang" et "Finistère" je crois x)
Bah. J'écris pas beaucoup, mais pour le peu que j'écris je vis l'écriture différemment aussi. Mais genre, théoriquement, j'adore ce que tu as exposé.
SupprimerAh oui, c'est théoriquement cool. Mais c'est une partie assez partielle, sous-jacente et inconsciente de la pratique d'écriture je crois. Difficile à vraiment sentir ^^
SupprimerUn profond respect pour ta capacité à/ta manière de verbaliser ces processus (semi-)inconscients : "Cette phrase n’est pas la mienne, je me la suis arrachée à coup d’effort, ils me l’ont arrachée à force de réflexion. Et pourtant, grâce à cette aura qui suinte autour des mots, l’association secrète qu’ils ont formée les contente"
RépondreSupprimerL'expression de ton profond respect pour ce qui constitue mon but, pour ce qui dirige toutes mes tentatives d'expression, m'honore et me touche. Ton message rend explicite l'échange de puissance d'agir que nous effectuons, et cette conscientisation est une joie.
SupprimerMerci à toi =)