mercredi 18 février 2015

"Je ne le mérite pas."

Il faudrait quand même arrêter avec cette idée du mérite.

Spinoza la dénonçait déjà dans l'Éthique, et dans de précédents livres. Le mérite est une idée humaine qui n'a pas de réalité concrète, qui sert moins qu'elle n'entrave, et dont il faut se libérer.

Qu'est-ce que le mérite, factuellement ?
C'est un outil qui permet de :
1) Donner une récompense à celui qui a fourni les efforts suffisants.
2) Refuser une faveur à qui n'a pas fourni assez d'efforts.

La critique de cette idée me paraît simple :
La personne qui instaure le mérite, qui régit l'attribution ou non d'une faveur, celle-là se met dans une position de supériorité arbitraire face à son interlocuteur. C'est créer sans raison une relation asymétrique.
D'autre part, celui qui a fourni les efforts suffisants peut se gratifier lui-même, et on peut le remercier avec de la chaleur humaine, sans qu'il ait besoin d'une récompense concrète, ce qui encourage des dérives (l'exigence constante d'une contrepartie, l'accoutumance à la rétribution, le chantage par la proposition miroitante d'une récompense pour parvenir à ses fins...).
Enfin, refuser une faveur sous prétexte qu'une personne n'a pas fourni assez d'efforts, c'est très clairement de la mauvaise foi. C'est soit se poser en dominant qui a des droits sur autrui (ce qui revient au premier argument), soit dissimuler le refus d'accorder une chose à une personne en particulier sous un aspect "acceptable" (cela gagnerait à être exprimé honnêtement).
En vérité, qui est-on pour juger de ce qui est suffisant ?

Enfin, du point de vue de celui qui mérite ou ne mérite pas, c'est s'asservir à autrui, vivre sous tutelle, être hétéro-déterminé et non autonome, véritablement libre. C'est simplement se réprimer soi-même, réprimer ses propres désirs et ses propres besoins dans le but de plaire à autrui dont les besoins et désirs sont différents.

Finalement, le mérite, c'est une idée très destructrice. Par pitié, arrêtez de dire "je ne le mérite pas", de rechercher constamment le mérite, de le refuser aux autres, de l'accorder à peu... Vous êtes tous des personnes formidables qui devez suivre vos désirs, vos sentiments et votre raison. Soyez indépendants, c'est un moyen de se rendre plus heureux.

6 commentaires:

  1. Mais est-ce qu'il n'y a pas des abus de langage avec le mot? Par exemple si on dit à une personne qu'elle a "mérité" de gagner un prix, est-ce qu'on ne voudrait pas dire par là qu'elle avait toutes les chances de gagner, parce qu'elle a des qualités qui le lui permettent?

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    1. Excellente réaction, je n'avais pas pensé à cette dimension-là.

      Je vais plutôt poser d'autres questions :
      Est-ce que les autres n'avaient pas des qualités qui leur permettaient de gagner aussi ?
      Est-ce que nous sommes vraiment habilités à déterminer quelles qualités permettent de remporter le prix ? (il reste encore cette idée selon laquelle on met l'autre sous son propre jugement, je crois)
      Est-ce que, finalement, ça n'est pas aussi fructueux mais moins ambigu de dire : "Je reconnais que tu as les capacités qui t'ont permis de remporter ce prix" ?

      Parce que, concrètement, même un "tu l'as mérité" bienveillant (je reconnais son caractère bien moins destructeur que les autres, cela dit) est malheureusement encore l'imposition du point de vue de l'énonciateur sur son interlocuteur. Alors qu'en disant "je reconnais tes capacités", l'énonciateur n'impose pas pas de valeur aliénante aux capacités qu'il voit chez l'autre, il reste de son côté, dans son propre champ d'action et de jugement.

      En fait, le mérite, c'est assigner une valeur intrinsèque à ce qui appartient à autrui, la reconnaissance, c'est plutôt affirmer une valeur subjective perçue sur ce qui appartient à autrui. Il me semble.

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    2. Merci pour cette réponse ^^

      Effectivement c'est mieux formulé comme ça. :)

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  2. On est rarement d'accord, mais je crois que là, on l'est^^
    Il manque juste un peu de nuances et de développement peut être @_@ par exemple, il y a des cas où le mérite existe réellement. Genre contrôle maths, toutes les réponses sont bonnes ? Ça "mérite" un 20/20. Ou encore un concours basé sur des critères très clairs et définis : là, on peut dire qui mérite de gagner ou non. Et du coup ça amène à s'interroger : le mérite se base-t-il sur la performance (comme ici) ou sur les efforts effectués ? C'est un peu comme quand on se demande si on doit payer pareil 2 personnes qui travaillent pendant 1h alors qu'une est beaucoup plus performante ou impliquée que l'autre, ça peut paraître injuste. Là, on ne peut justement pas juger de qui mérite quoi, vu qu'effectivement on n'est pas supérieur, mais pourtant la question du mérite se pose bel et bien...
    Par contre là où il est absurde de parler de mérite, c'est pour tout ce qui est un droit fondamental si je puis dire : mériter le respect, mériter l'amour, mériter de vivre ou mourir, ça n'a absolument aucun sens selon moi, tous devraient y avoir le droit.
    Bref...je me suis un peu emportée, excuse moi, mais la question du mérite est intéressante. Bon article quoiqu'un peu incomplet à mon goût :) Ah et, un conseil bidon (mon avis ne vaut rien xD) : n'hésite pas à insérer des exemples dans tes articles, techniquement ça sert à rien pour prouver ce que tu veux dire mais ça aide toujours à comprendre et à relier ça avec des situations réelles ^^

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    1. Effectivement, un article écrit à la hâte à 3h du matin ne peut pas être tout à fait parfait x) (mea culpa)

      Je ne suis pas sûr que ce soit justifié sur les exemples que tu donnes concrètement. En fait, je crois que substituer la reconnaissance au mérite est plus fructueux (cf le commentaire d'au-dessus ^^). Si tu n'es toujours pas d'accord, je serais heureux d'en discuter plus profondément =)

      Oui, en fait, mon article se focalisait surtout sur ces "droits fondamentaux", comme tu dis. Ce qui a occulté à mes yeux d'autres parties du sujet, que j'ai plus de mal à traiter, du coup (cf ci-dessus).

      Je n'ai pas eu l'impression que tu te sois emportée ^^' Mais effectivement, ton commentaire était extrêmement constructif et je t'en remercie =)

      Ton conseil n'est pas bidon. C'est juste que les exemples ne m'intéressent pas (parce que "techniquement ça sert à rien pour prouver ce que [je] veux dire", exactement), mais oui, ça aide à comprendre et à matérialiser ça. Il faut que je m'en souvienne, mais pour moi c'est un gros effort, et en plus mes exemples sont souvent mauvais...

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  3. on se rends compte à nos dépends qu'il n'y a pas véritablement de mérite ; en amour parce que la personne que l'on aime ne nous "doit" pas plus d'amour parce qu'on lui offre toute notre vie (ce qui nous fait penser "je la mérite"), à l'inverse des images qu'on se construit. Du coup la vie est très triste sans "mérite" car ça veut aussi dire que les parents qui utilisent la notion de récompense et du "mérite" agiraient mal ; mais comment faire autrement ? D'ailleurs cette notion est aussi utilisé par les professeurs. Enfin, certains professeurs. Mais
    Reprenons à la base : cette notion est utile, certes, puisqu'elle permet actuellement d'éduquer sans violence, de motiver les enfants à donner d'eux-mêmes, de les éduquer pour qu'ils essayent d'être plus méritants, pour qu'ils soient mieux.
    Si on enlève cette notion de mérite, c'est prôner une égalité de l'avoir : pas de mérite, pas de salaire plus élevé, pas de différence entre les handicapés et les non-handicapés, pas de faveur pour personne.
    Mais si quelqu'un fait du mal, si quelqu'un ne veut pas entrer dans mon système pourtant supra cool ? Et si quelqu'un fait apparaitre la notion de mérite à l'insu de tous dans ce système ?
    Personne ne mérite rien du tout ; pourtant un jour on m'a dit tu as mérité d'avoir zéro. On m'a dit ça parce que je n'avais pas travaillé, alors que d'autres suent pour leur notes ; on m'a dit tu n'as pas mérité le bac, parce que je n'ai rien fais pour l'avoir. Moi, je n'en ai pas souffert, les autres, je n'en parle même pas !
    J'ai l'impression que tu ne mérites que si tu souffres... Et que si tu ne mérites pas tu souffres. Refuser la notion de mérite, c'est méchant, ça veut dire refuser d'éduquer un chien avec des sucres. C'est comme dire que personne ne mérite rien mais que la vie est ainsi faite : pour les inégalités car personne n'a jamais la même chose que son voisin ; le mot mérite doit-il exister ? Quel est son effet sur le monde ? Est-ce que si on enlève ce mot, le concept d'être changera-t-il ? Car c'est bien de ça qu'on parle : de donner en fonction de ce que l'on EST... Pas de ce que l'on a fait, même si on essaie de nous le faire croire.. Un aveugle mérite de ne pas voir, c'est Dieu qui l'en a privé de son regard ! Un déficient est un déficient, il n'est pas mon égal : l'a-t-il "mérité" ? Il s'est tué pour elle : il ne la méritait pas ? C'est parce que tu ne le méritais pas qu'il t'a posé.
    Ben non, c'est pas une question de mérite, c'est une question d'amour, chose que ceux qui quantifient tout ne comprennent pas forcément du premier coup !
    Et Dieu sait que le mérite n'a aucun sens.

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